Archives du mot-clé Kazuhiko Hasegawa

Retreat through the Wet Wasteland (Yukihiro Sawada – 1973)

Deux flics pourris jusqu’à l’os doivent poursuivre un ancien collègue à eux, un flic pervers qui vient de s’évader d’un asile d’aliénés (après y avoir foutu le feu). Si ça c’est pas une histoire qui envoie du rêve, j’y connais rien.

濡れた荒野を走れ (Nureta Koya O Hashire)

Le titre ne doit pas faire illusion car ce film est bien plus nerveux que vraiment humide. Pour ceux qui douteraient encore de la capacité du roman porno à proposer autre chose qu’une collection insipide de scènes de cul plus ou moins salées, Retreat through the Wet Wastland est fait pour vous. Echaudée par les affres judiciaires de l’année précédente (Love Hunter, à cause de son obscénité, causa moult problèmes à la compagnie), la Nikkatsu donne le feu vert en 1973 pour la réalisation de Wet Wasteland mais en prenant soin d’ajouter un « nureta » (humide) au titre pour bien donner l’impression qu’il s’agit d’un roman porno ordinaire. Ce qu’il n’est évidemment pas. En ce sens la jaquette du DVD annonce davantage la couleur que l’affiche originale puisque le personnage principal est un flic dur à cuire sans aucunes limites. Dirty Harry est sans doute passé par là, on retrouve chez le « héros » du film, l’inspecteur Goro Harada une expressivité minimaliste et un anticonformisme notoire. Mais la comparaison s’arrête là car le bon inspecteur va bien au-delà de son homologue américain. Dans la scène d’ouverture, il entre par effraction avec trois acolytes au domicile d’un type pour lui voler un gros paquet de fric. Ceci avec rien moins que quatre circonstances aggravantes :

– L’homme est vieillard.

– C’est un prêtre.

– Le fric en question est une cagnotte destinée à venir en aide à des familles du Vietnam.

– Avant de partir, les trois complices en profitent pour violer la fille du prêtre.

Et sous les yeux de la Sainte Vierge qui plus est ! Horreur ! Sacrilège ! Profanation !

En soi, c’est une jolie manière de dire m… à la police japonaise qui avait pénétré dans les locaux de la Nikkatsu l’année précédente pour carrément arrêter plusieurs employés. Reste que, comme nous l’avons dit, la Nikkatsu a tout de même veillé à ne pas trop claironner la sortie de ce film en arrangeant le titre et en présentant une affiche prenant soin d’évacuer le personnage principal qui a rien moins la réputation que d’être à l’origine le premier flic anti-héros du cinéma japonais, annonçant certains personnages de Fukasaku ou encore le flic de Kitano dans Violent Cop.

On ne saura pas trop ce qui pousse Harada à choisir la voie du mal. A vrai dire, malgré cette sempiternelle paire de lunettes noires qui lui donne un masque imperturbable,  il nous apparaît aussi malade, aussi névrosé que l’ancien collègue qu’il poursuit. Les premières minutes (voir vidéo plus bas) nous le montre marcher dans une ville dont il se fout sans doute, voire qui le révulse. Quand la fille du prêtre se fait violer, il est le seul à ne pas participer, se contentant de regarder. Plus tard, alors qu’il a engagé les services d’une pute, l’érection ne vient pas, faisant dire à la dame que c’est parce qu’il boit trop. On se dit alors que se cache derrière son comportement un souci lié à son service trois pièces. Mais en fait non, après avoir travaillé avec ardeur pour transformer une demi-molle en magnum .44, la prostituée comprend que le bon inspecteur est loin d’être défaillant en la matière :

Au passage oui, vous ne rêvez pas, c’est bien le choix radical de Sawada pour censurer certaines scènes de fesses. Choix bien excessif car même sans ces caches, je ne suis pas sûr que le spectateur aurait pu contempler les parties intimes. On pourra voir dans ce réseau d’épaisses lignes noires l’enfermement criminel teinté de folie dans lequel se complaît Harada. Ce sera d’ailleurs le même procédé quand le collègue qui l’accompagne – lui aussi bien pourri – prend du bon temps avec une autre dame :

Posture n°284 : le « ramen doggy style ».

Bref, on comprendra bien qu’il ne s’agira pas ici de s’identifier au personnage principal. Si Harry Callahan pouvait faire preuve d’un certain humour pince sans rire et surtout avait le bon goût de s’attaquer à de pures crapules, on n’en dira pas autant de Harada, d’autant que l’ex-flic qu’il recherche tombe sur une lycéenne fugueuse (premier rôle important dans un roman porno de Yuri Yamashina) avec laquelle il aura une liaison touchante et inoffensive. En fait, le spectateur espérera surtout que cet enfoiré d’inspecteur succombera à la fin. Mais cela, il ne faudra pas trop y compter, surtout si l’on sait que derrière le scénario se cache Kazuhiko Hasegawa, l’homme qui réalisera plus tard The Man who stoled the sun. Ceux qui ont vu ce film se rappelle peut-être de cette histoire d’un professeur de physique au lycée qui parvient à voler de l’uranium afin de concocter une bombe qu’il espère bien faire exploser gratuitement en plein Tokyo (évitez de lire la fin de ce paragraphe si vous ne l’avez pas vu). La dernière scène nous le montrait en gros plan, de face, alors qu’il a enclenché le compte à rebours de sa bombe et qu’il marche tranquillou dans une rue bondée de monde.

Il y a le même effet dans Wet Wasteland. Harada nous montrera enfin son vrai visage ainsi que son immense solitude. On ne le voit pas marcher dans une rue remplie de monde mais dans un no man’s land. Mais à son retour en ville et à sa fonction d’inspecteur, car à aucun moment on imagine que cette errance dans la nature serait le signe d’une démission (là aussi on se démarque de Dirty Harry),  il est certain qu’il continuera ses crimes avec encore plus de complaisance, petite bombe nihiliste dont le but est juste de faire le mal pour le mal, l’argent n’étant sans doute qu’un prétexte.

On l’aura compris, Retreat through the Wet Wasteland est plus un joli petit film coup de poing de l’année 1973, plutôt qu’un grand roman porno. Les amateurs de scènes hautement érotiques et bijinisées y seront sans doute pour leurs frais. Mais pour ceux qui apprécient le badass qui se torche avec le politiquement correct, c’est un film assurément à découvrir.

Guns, blood and boobs : que demander de mieux ?

7,5/10