Quand je cherche ce qui a provoqué en moi ce virus pour le Japon, je n’ai pas à chercher trop longtemps. Ce n’est pas très original, je n’ai que l’argument du manga et de l’animation comme prémisses puis comme catalyseurs à une envie de découvrir ce pays. Cela n’a pas toujours été, il y a eu des périodes d’éloignement, de lassitude voire de dédain vis-à-vis de cet intérêt. Mais ce dernier est toujours revenu plus prononcé que jamais et a fini par s’installer définitivement.
Merci aux mangas et aux dessins animés donc (et puis, quand même ! au cinéma). Et pourtant, en tombant dernièrement sur un magazine chez un bouquiniste, je me suis demandé si mon intérêt ne devait pas non plus quelque chose à cet ouvrage :
Ce magazine, c’est le n°49 de GÉO, publié en mars 1983, et comprenant un reportage de 40 pages sur le Japon moderne. C’est l’époque des débuts de ce magazine qui, alors qu’il venait d’achever sa quatrième année, était en vogue et s’affichait déjà comme le magazine de voyage incontournable. J’ignore où il en est maintenant mais à l’époque, j’ai souvenir d’un photojournalisme de qualité. En tout cas percutant aux yeux d’un gamin qui allait à l’école primaire. À l’époque, mon paternel avait été séduit par le mag et s’était abonné. Habitant alors dans un échantillon de la cambrousse bretonne, j’aimais bien cette fenêtre mensuelle sur le monde, tout ne me parlait pas mais il y avait toujours un reportage qui pouvait m’intriguer voire me laisser une vive impression ; aujourd’hui encore, je suis surpris, lorsque je tombe sur des vieux numéros au hasard d’une brocante ou sur l’étale d’un bouquiniste, de voir combien les photos de couverture me paraissent familières.
Il en a été ainsi lorsque je suis donc tombé récemment sur ce n°49. Je me suis aussitôt rappelé de ce visage lunaire en couverture. Et quand j’ai ouvert le mag, je suis tombé sur ça :
Street shooting conceptuel dans le Roppongi des 80’s ! Moi, je kiffe.
Double page familière, oui. Mais pas dans le même sens que d’autres articles de GÉO. Familière parce que je me suis alors souvenu combien mes yeux d’enfant s’étaient écorchés à parcourir encore et encore ce fascinant reportage. Je n’ai aucun souvenir du texte que je n’avais vraisemblablement pas lu. Pas de regret, en le lisant aujourd’hui je m’aperçois qu’il n’y a guère de changements par rapport à aujourd’hui en ce qui concerne les thèmes abordés et ce que l’on en dit. Mais pour ce qui est des photos, j’ai été soufflé de voir comment la moindre image s’était inscrite dans ma mémoire. Je n’ai pas souvenir d’un reportage de GÉO aussi riche en photos. Pas loin de 70 images vous sautent à la gueule, le mot n’est pas trop fort, tant on a l’impression en feuilletant les pages de voir défiler un gigantesque Luna Park. « Mais c’est quoi ce pays ? » me suis-je sûrement demandé devant ces situations, ces trognes, ces accoutrements hors norme. Ici un couple dans un love hotel se jetant un coussin avant de passer à l’acte, là une geisha jouant au bowling. Et encore un sumo levant la jambe face à une grosse voiture, comme prêt à lui pisser dessus, un scène d’hanami bourrée jusqu’à la gueule de Japonais piqueniquant, des salary men s’entraînant en masse au golf, des catcheuses s’agrippant dans la boue, des employés faisant des exercices de gym avant de se mettre au travail, des enfants à des cours de piano, des enfants à des cours de calligraphie, des punks, des épouses dociles, des manifestants, des rockers, des courbettes, des buildings, des lumières. Et une imparable fascination pour le lecteur, a fortiori quand il n’est qu’un écolier qui en est encore à mater Téléchat en bouffant sa tranche de Nutella pour le goûter. Remarquez, je dis ça, mais c’était cool Téléchat.
Et Léguman for ze ouinne!
Difficile de dire quelle trace ce numéro a pu laisser dans mon esprit et surtout s’il a joué une part dans ma passion pour le Japon. Mais quand je pense à mon goût quasi exclusif pour la photographie exercée là-bas – et en particulier dans les villes, je ne peux m’empêcher de faire un lien. Si je goûte volontiers à une ballade dans des coins champêtres ponctués d’improbables torii et recouverts du bruit assourdissant du chant des grillons, je préfère l’ivresse du maelström humain qu’offrent les villes japonaises. Et pas forcément besoin de le comprendre dans ses spécificités, ses contradictions : la capter avec un objectif suffit largement à mon bonheur. Il en va de même avec ce kaléidoscope de quarante pages : une jubilatoire claque dans la gueule. Peut-être clichée maintenant tant on l’habitude de peindre le Japon comme le pays de tous les excès. Mais il y a 25 ans, c’était sans nul doute puissamment exotique. Si on m’avait dit à l’époque que ce serait plus tard d’une familiarité de tous les instants…