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L’impitoyable monde des mangakas en dentelles

Vous avez aimé mes critiques de manga shojo sur des lycéennes qui se font persécuter ? Vous en voulez encore ? Non ? Eh bien c’est pas grave, vous en aurez quand même avec Hope, manga publié entre 2013 et 2015 chez Kodansha. Rien à voir avec Life en terme de longueur : Hope fait six tomes bien tassés, avec pour certains moins de 140 pages. Et rien à voir non plus avec Vitamine puisque le manga a été créé 12 ans après la première œuvre de Suenobu (et quatre ans après le dernier volume de Life), autant dire que le trait est devenu plus pro (même si on pouvait justement apprécier la rudesse du trait des débuts).

Après, pour l’histoire, on ne dira donc pas qu’il n’y a rien à voir. On suit le quotidien de Hikari, une jeune lycéenne dont le rêve est de devenir mangaka. Elle commence par dessiner avec acharnement dès qu’elle a du temps de libre, puis enchaîne avec un boulant d’assistante auprès d’une mangaka de renom et va enfin s’essayer à voler de ses propres ailes, aidé par un tanto sévère mais attentionné. Problème : elle irrite certaines concurrentes, une en particulier qui n’hésitera pas à lui tendre des pièges ou à salir son nom sur les réseaux sociaux.

On le voit, ce n’est pas parce qu’il y est question de manga et de persécution que l’on est forcément face à une déclinaison monotone de Vitamine et de Life car on quitte cette fois-ci le milieu scolaire (réservé surtout au premier tome) pour un milieu professionnel. De même, le caractère d’Hikari n’est pas foncièrement identique à celui des autres héroïnes. On retrouve tout de même une certaine rage mais Suenobu a su lui doter une identité propre qui, associée à un graphisme plus rond, fait oublier la lecture des œuvres précédentes.

Lire les six tomes s’est fait sans trop de problème, on peut même regretter que Suenobu n’ait pas pu donner plus d’amplitude à son traitement du métier de mangaka. Car si vous aimez les mangas comme Bakuman, il y a des chances pour que vous appréciiez Hope qui lève le voile sur le métier de mangaka de shojo. On y retrouve tous les ingrédients du genre : l’atelier, les assistants, la mangaka qui chapeaute le travail, les dates buttoir demandant à tous un travail de fou, le tanto qui met la pression sur son artiste pour en tirer le meilleur, les choix éditoriaux soucieux du goût des lecteurs, les limites artistiques que ces derniers imposent, enfin les petites guéguerres entre créateurs d’envergure, guéguerre qui dans le cas d’Hikari va déboucher sur de sérieuses déconvenues. Cerise sur le gâteau, Suenobu compose des planches sur Hikari en pleine action du plus beau style nekketsu, aspect déjà remarqué dans Life, avec la méchante de l’histoire enrobée d’une aura d’énergie très super saiyen.

Enfin, concernant la noirceur, ça se démarque là aussi des œuvres précédentes. Dans les premiers volumes, on se dit que l’adversité que va rencontrer Hikari sera bien gentillette en comparaison. Néanmoins, dans le tome 5, on tombe sur cette scène :

Comme dans Life, l’héroïne tombe dans une scène de viol collectif. Dans Life, l’héroïne s’en sortait sur le fil. Dans Hope, c’est durant quelques planches ambigües. On voit son tanto arriver, Hikari et ses persécuteurs sont tous habillés, attablés sagement autour de quelques boissons, on se dit que finalement Hikari a échappé au pire, que tout cela était juste pour lui faire peur. Seulement, quelques planches plus tard, Hikari décide de créer une nouvelle histoire intitulée Tubomi et Hana. Il y est question d’une fillette qui adore sa petite chienne prénommée Hana. Mais persécutée par des filles de sa classe, elle voit un jour son animal battu à mort par ces dernières :

Tsubomi se vengera en butant au couteau celles qui l’ont tué et finira sa vengeance en se pendant, seul moyen pour elle de retrouver au paradis sa chère Hana.

Oui, c’est une histoire un peu hallucinante pour être publiée dans un magazine de mangas pour fille, et la rédaction du journal n’hésite pas à recevoir une pléthore de lettres courroucées émanant de parents soucieux des lectures de leur progéniture. Mais intelligemment, Suenobu en profite pour souligner combien les parents ne panent la plupart du temps rien à ce qui peut toucher leurs gosses. S’ils sont mécontents, le lectorat principal d’Hikari, d’abord déboussolé par l’histoire d’Hikari, finira par acclamer son travail. Ensuite, il y a la symbolique évidente la trame puisque cette chienne ensanglantée appelée Hana représente évidemment le pucelage perdu d’Hikari (Hana signifiant fleur mais pouvant aussi désigner par métaphore le sexe féminin). Tout est alors dit. Hikari extériorise par une rage créatrice touchant à l’autobiographie parce que le viol a été censuré (et heureusement, mon cœur délicat ne l’aurait pas supporé) mais a bien eu lieu et Hope devient alors à l’image du manga créé par Hikari : une œuvre au graphisme aimable mais dont le fond est singulièrement sombre et touchant.

Tout cela fait que si Hope n’a pas le même souffle que Life ou la même spontanéité que Vitamine, il n’en est pas moins un shojo intéressant et tout à fait recommandable au sein de la bibliographie de Suenobu. A noter que ce titre n’a malheureusemnt pas été traduit en français, pour le lire, il faudra soit contenter de la version en japonais ou des scanlations (de qualité) en anglais.

Paye ta life dans un lycée de pestes !

Après l’œuvre matricielle, l’amplification. Life est un peu le grand œuvre de Keiko Suenobu, l’œuvre qui a fait suite à Vitamine et qui lui a permis d’obtenir le prix du manga Kodansha en 2006 dans la catégorie Shojo. Bon, ça, c’est anecdotique, sachez juste que Life est une pure bombe. Ne vous laissez pas berner par les couvertures :

Moi aussi, lorsqu’un jour je suis tombé dessus, je me suis dit : Houlà, mais jamais je ne lirai ceci ! Et puis, après Vitamine j’ai enchaîné avec Life et je crois m’être goinfré les 20 tomes en trois jours. Doux moment de binge reading qui m’a captivé et m’a donné envie de poursuivre mon exploration de l’univers shojo.

Comparativement à Vitamine, Life est moins autobiographique et plus fictionnel. L’héroïne, Ayumu Shiiba est une collégienne en passe de passer au lycée. Mal dans sa peau, elle a pour mauvaise habitude de se scarifier. Surtout, elle se met malencontreusement à dos sa meilleure amie (qui n’est d’ailleurs en fait qu’une sale conne, il faut bien le dire). Dans son nouveau lycée, ça s’arrange un peu, elle arrive à s’intégrer à un groupe de filles jusqu’au jour où cela dérape avec la rencontre du petit ami pour le moins déviant d’une de ces nouvelles amies, la Barbie Manami Anzai. Ayumu va alors connaître l’enfer mais aussi la joie de faire la rencontre d’une autre fille isolée de sa classe, la sublime Miki Hatori, fille de forte personnalité :

Ah Miki ! Moi aussi je te trouve forte et formidable ! Je t’aime !

Tout le long du manga, Ayumu et Miki vont n’avoir de cesse d’ignorer Manami et ses sbires, voire de es combattre quand ces dernières mettront au point des plans criminels pour les détruire. Car l’ijime ne consiste pas ici qu’à leur jeter des rouleaux de PQ par-dessus la cloison des WC. Lors d’une scène, on demandera à ayumu de manger une poignée d’aiguilles. Dans une autre ce sera carrément un kidnapping pour les faire violer par un groupe de furyos. Autant dire que Suenobu pousse sûrement un peu plus loin le curseur par rapport à son expérience personnel de l’ijime (du moins on l’espère pour elle).

Le hobby particulier du petit copain de Manami.

Du coup il y a une inventivité constante qui faire que les vingt tomes se dévorent. Evidemment, à partir du quinzième tome Life n’échappe pas à une impression de redite néanmoins Suenobu sait rendre sa conclusion intéressante, notamment avec l’inversion progressive des rapports de force au sein de la classe. Les persécuteurs vont peu à peu devenir les persécutés dans leur classe, engendrant un discours ambigu sur l’effet moutons de Panurge dont on sent qu’il peut se reproduire à tout instant, malgré des événement s antérieurs qui auraient amené à se corriger.

Ajoutons à cela un graphisme et une composition particulièrement efficaces. Avec une touche de shonen concernant Ayumu dont la rage la couvre parfois d’un écran d’énergie qui n’est pas sans rappeler certains personnages de Dragon Ball. C’est peut-être parfois un peu too much mais pour un manga qui s’appelle Life et qui brasse à pleine mains des sentiments dans tous leurs états, ce n’est pas non plus incohérent. Bref, je ne vais pas dire que s’il y avait un seul shojo sur l’ijime à lire ce serait celui-là, je n’en suis qu’ua début de mon exploration du continent shojo, mais je gage qu’il s’agit d’un des titres les plus emblématiques. Bref un bon complément à Vitamine, d’autant que là, le personnage n’a pas de bouée de sauvetage intérieure pour se tirer d’affaire. Dans Vitamine, l’héroïne avait en effet la création de mangas pour redonner un sens à sa vie. Là, Ayumu n’a rien, c’est une ado ordinaire sans idée précise sur la voie à donner à sa vie. On peut supposer que cet aspect ordinaire que seul vient sauver une incroyable énergie insuffler par Miki a dû ajouter en identification chez les jeunes lectrices.

Signalons au passage une bonne version concoctée par Kurokawa.

Sur ce je vous laisse, j’ai un autre shojo sur le feu.

 

Des vitamines contre l’ijime

C’est avec un titre tel que Vitamine, de Keiko Suenobu, que l’on s’aperçoit combien sont friables les limites entre les différents genres de mangas. En tout cas pour un néophyte comme moi. Car lorsque l’on me dit « shōjo », immédiatement me vient en tête ce genre d’image :

Des fleurs, des boucles blondes, des yeux immenses avec des millions d’étoiles à l’intérieur, voilà, on est dans du shōjo à destination de jeunes filles.

Par contre, ce style d’image :

Là, pour moi, on est plus dans du seinen, ou du josei, le seinen pour jeunes femmes.

Tout cela pour dire qu’il va me falloir combler les quelques wagons de retard que j’ai par rapport aux shōjo qui ont fait leur révolution depuis belle lurette, avec des auteures comme Moto Hagio ou Hideko Mizuno. Comme en ce moment je suis plutôt porté sur des mangas faisant dans le récit de relations compliqués entre des hommes et des femmes (je viens de finir le très « ecchi » et « mature » Usotsuki Paradox), et que le manga du jour, Vitamine, m’a fait forte impression, les prochains articles risquent de sentir le parfum et le verni à ongles, je préfère vous en avertir.

Bref, Vitamine, excellent one shot malheureusement plus édité, qu’est-ce que c’est ? C’est très probablement un des tout meilleurs mangas sur le thème de l’ijime. Manga  touchant par ailleurs à l’autobiographique puisque l’héroïne, Sawako, est un peu comme le double narratif de Suenobu qui a vraiment connu l’ijime lorsqu’elle était jeune.

Pour la jeune Sawako, tout part d’un petit ami qui a du mal à contrôler ses pulsions. L’image un peu plus haut, c’est lui et Sawako, en train de le faire dans leur bahut. Ça passe une fois parce qu’il n’y a pas de témoins mais alors qu’il l’oblige à le laisser jouer à l’apprenti gynéco alors qu’ils sont censés nettoyer leur salle de classe en fin de journée, ils se font surprendre par un camarade qui a tôt fait de tout raconter aux autres. Commence alors pour Sawako une épouvantable réputation de « chaudasse ». Cela va commencer par des moqueries, se poursuivre par du harcèlement sur son keitai (avec des messages du type : « tu veux bien me sucer ? »), enfin par une violence de tous les instants, notamment un déshabillage forcé dans les vestiaires lors du cours du sport pour être photographiée après avoir été transformée au marker en panda :

Au bout d’un moment, c’est la goutte de trop et Sawako décide de ne plus aller au collège, d’autant que les adultes responsables qui seraient supposés l’aider se contentent de lui donner des conseils du genre : « mets-y du tien, ce qui t’arrive n’est pas si dur après tout, ils vont bien finir par se lasser ». A cette incompétence professorale succède l’incompétence parentale, du moins celle de la mère, le père de Sawako faisant preuve de compréhension devant la volonté de ne plus retourner au collège. Mais pour la mère, c’est une autre chanson, puisqu’il s’git de préparer les sacro-saints examens de préparation à l’entrée du lycée. Cela part d’un bon sentiment, comme toute les mères elle souhaite la réussite de son enfant mais on sent derrière cette envie l’image du clou qui ne doit pas dépasser dans la socité japonaise. Or, Sawako, par son attitude de refus, devien le clou que l’on voit beaucoup trop. Dès lors la mère tombe-t–elle souvent dans des crises de larmes sans que l’on sache vraiment quelle en est leur cause : une peine sincère pour sa fille ou un orgueil qui panique car sa réputation est en proie au quand diras-tu des mégères du quartier qui n’ont, elles, aucun souci avec l’éducation de leur enfant ?

Dans tous les cas, Vitamine se double alors d’un autre nœud dramatique pour Sawako. D’un côté il lui faut redonner un sens à sa vie après son refus inébranlable de retourner dans un système qui n’a pas su la protéger. Cela lui se permet par le manga, domaine dans lequel Sawako montre des aptitudes et qui va lui redonner confiance en elle. De l’autre, il lui faudra gérer la pression maternelle et essayer de transformer les attentes hyper-conventionnelles de sa mère.

Avec en filigrane cette question constante : qu’est-ce que le courage lorsqu’on a le malheur d’être en proie à l’ijime ? Est-ce retourner coûte que coûte au collège et continuer d’en prendre plein la gueule jusqu’au suicide ? Ou est-ce faire comme Sawako, c’est-à-dire blackbouler le système éducatif pour rester chez soi pour se consacrer dans un domaine où l’on pense que l’on peut réussir, ici le manga ?

La réponse de Suenobu est très clair, rester le clou qui dépasse plutôt qu’être celui qui va morfler est la forme de courage qu’il convient d’adopter. Du reste, cela débouchera pour Sawako dans une forme de rage du vainqueur qui se conclura dans le manga avec de savoureuses pages.

A la fois sombre et profondément optimiste, Vitamine est un shōjo qui porte bien son nom et qui donne envie de se pencher sur la série phare de son auteure, série elle aussi consacrée à l’ijime : Life.

The Last Dance en fauteuil roulant

Actuellement, j’attends comme le messie la journée du lundi et ses deux offrandes qu’elle me remet depuis quelques semaines, à savoir deux épisodes de The Last Dance, sur la glorieuse épopée des Chicago Bulls sous l’ère Jordan, dans les années 90. Le documentaire est riche en images d’archives étonnantes, et pour qui aime le basket, l’a pratiqué en club, et a grandi en punaisant sur les murs de sa chambre des posters de James Worthy et de Danny Ainge (oui, Ainge le mal aimé, le détesté, mais que voulez-vous, je récupérais les posters que je trouvais dans les magazines de l’époque), c’est une fabuleuse madeleine.

Madeleine qui m’a donné envie de me remettre aux mangas. Cela faisait longtemps que je n’avais rien lu, profitant du confinement pour me goinfrer de littérature comme à ma grande époque. Mais que lire ? Quand on dit « manga de basket », on songe tout de suite à deux titres : Kuroko no Basket et (surtout) Slam Dunk. J’ai vu pour chacun l’adaptation animée qui en avait été tirée. Au charme so 80’s de celle de Slam Dunk a répondu quelques années plus tard le délire jouissif des coups spéciaux façon Saint Seiya dans celle de Kuroko. A chaque fois, immense plaisir. Après, pour ce qui est de tout reprendre à travers leur manga respectif, avantage à Slam Dunk, souvent cité comme étant LE manga de basket, voire LE shonen sportif.

Ne restait plus qu’à se procurer les tomes de Slam Dunk mais là, j’étais pris un peu de court. La nouvelle édition (la « Star Edition ») me semble un poil onéreuse pour ce qu’elle est. Quant à d’éventuels scans de qualité à trouver sur le net, je pouvais repasser.

Du coup, en attendant des circonstances plus favorables, je me suis rabattu sur une autre œuvre d’Inoue traitant du basket :

Real

 

Particularité : le manga traite du basket en général mais en particulier du handibasket. Le thème de la blessure étant un motif bien connu de la mécanique narrative du shonen de sport, j’allais sans doute me confronter là à de nombreuses affres de personnages accidentés, fauchés par la vie et se demandant quoi faire pour lui redonner sens. Cela n’a pas raté et c’est tant mieux car c’est la grande richesse de Real qui pourra paraître moins lumineux que Slam Dunk mais en même temps plus complet, touchant aussi bien à la légèreté qu’à une gravité toute réaliste.

Ici, il est bien difficile de déterminer un personnage principal. Si le bolosse Nomiya, grand fan de basket, évoque tout de suite le Sakuragi de Slam Dunk, il est loin d’être systématiquement présent, cédant parfois sa place à d’autres personnages durant de nombreux chapitres. On a ainsi le portrait de Togawa, lycéen prometteur dans la pratique du 100M mais qui, atteint d’un cancer des os, doit se rabattre sur le handi-basket. Takahashi était lui autrefois un lycéen du genre bâton-merdeux plutôt fort au basket. Touché par un rude accident de la route, il a dû faire une croix sur ses jambes et commencer un parcours du combattant dans son hôpital pour se redéfinir, mieux comprendre sa famille et redonner un sens à sa vie. Dans cette quête il fera d’étonnantes rencontres, comme celle d’un vieux otaku handicapé comme lui, mais aussi celle d’une star du catch bien décidée à retrouver ses jambes : Scorpion Shiratori.

Ces trois fils narratifs s’entrecroisent, se répondent, souvent pulsés par l’évolution de Nomiya, gorille relou mais sympathique à l’enthousiasme communicatif. Chacun des personnages connaissent des moments de mou puis des heures plus enthousiastes. A ce jeu d’entrecroisements, Inoue excelle, y injectant une pléthore d’autres personnages intéressants, comme la jeune Azumi, secrètement amoureuse de Togawa (lien amoureux juste suggéré), et qui elle aussi doit songer à donner du sens à sa vie après le lycée, mais aussi les parents de Takahashi.

Comme avec Slam Dunk, on est dans une aventure humaine mais là où dans Slam Dunk elle parachavait glorieusement les années lycée, elle sort de ce cadre dans Real pour toucher toutes les générations, avec en plus, cerise sur le gâteau, le trait d’Inoue qui depuis Slam Dunk a évolué et gère parfaitement aussi bien les scènes d’introspection que les scènes de basket. Rien à dire évidemment sur les scènes de basket traditionnel, avec des joueurs sur leurs deux jambes comme Nomiya. Se fixant pour but de passer pro, Nomiya accède à un camp de sélection et les planches que dure cet arc procure son lot de planches savoureuses et explosives. Et c’est aussi le cas pour celles de handibasket dont on peut penser qu’elles ont dû constituer un challenge pour Inoue. Donner l’impression du mouvement, de la rudesse des contacts, de la virtuosité individuelle en se privant des poses splendidement athlétiques d’un Rukawa (un des personnages phares de Slam Dunk), ce n’était pas gagné d’avance. Et pourtant, force est de constater que ces scènes sont très prenantes aussi. A la place des jambes, on a ceci, un fauteuil…

Véritables bolides aux roues de biais, ces fauteuils deviennent sous la plume d’Inoue l’équivalent circulaire des jambes de basketteurs. L’alchimie entre ces troncs aux bras levés et cette assise de métal se fait parfaitement et à aucun moment on se dit qu’il y a dans ces scènes une absence de lisibilité, au contraire.

En quatorze tomes, Inoue livre une œuvre maîtresse, injustement dans l’ombre du phénomène Slam Dunk. On pourrait juste lui reprocher une fin laissant un goût d’inachevé mais ce n’est pas anormal non plus car pour tous ces personnages, féminins comme masculins, vingtenaires, quadra ou quinquagénaires, l’heure de The Last Dance sera sans cesse repoussée avant le buzzer final.

Un manga vraiment splendide.

Angoulême 2020 : 20/20

Achevée le week-end dernier, la 47ème édition du FIBD m’a laissé retrouver mes pénates dimanche soir totalement éreinté. Ereinté mais satisfait aussi avec le net sentiment d’en avoir bien profité puisque j’y ai cette fois-ci traîné mes basques non pas une journée comme c’était l’habitude mais trois (jeudi, samedi et dimanche). Et ça change tout. Oubliées les expos visitées en coups de vent parce que j’avais à me rendre à telle heure à un stand pour une dédicace. Là, j’ai pu pleinement explorer les différents lieux du festival, faire un max d’achats, glaner un nombre appréciable de dédicaces et surtout m’en mettre plein les mirettes aux différentes expos. Si je devais parodier l’énumération de Goscinny sur la couverture d’Astérix et Cléopâtre, voici ce que ça donnerait :

3 jours de festival. 23 heures cumulées. 34614 pas. 7 livres dédicacés. 6 expositions. 250€ d’achats.

Oui, avec ces 250€ je crois pouvoir affirmer que j’ai dû en cours de route griller un fusible mais d’un autre côté aucun remords, l’envoi aux urgences de ma carte bleue pour soins intensifs ne pèse pas lourd dans ma conscience, tout à ma joie de trouver une place dans ma bibliothèque à la quinzaine de bouquins rapportés. Comme disait Goethe, les collectionneurs sont des gens heureux, il avait raison.

Rangeons tout de même ce volume dans un coin caché de la bibliothèque, faudrait pas que les kids tombe dessus. Très « âmes sensible s’abstenir ! »

En fait c’est plus ce chiffre de 7 livres dédicacés qui me surprend. Si faire le pied de grue pour récupérer un dessin a pu autrefois m’intéresser, j’ai par la suite dédaigné cette activité sur le mode « I’m too old for this shit ». Rester une heure dans une file d’attente alors que l’on pouvait utiliser cette heure pour prendre son temps dans une belle exposition, je ne comprenais pas. Le changement a commencé à se faire l’année dernière, avec le cirque pour récupérer une dédicace de Taiyou Matsumoto. Avec cette opération chronophage, j’avais vu le temps à consacrer aux autres activités se réduire drastiquement et c’est alors que je me suis dit que deux journées à consacrer au festival ne serait pas du luxe. Ce que j’entrepris de faire cette année et même avec un bonus, avec cette journée préliminaire le jeudi.

Avec ces trois journées, autant dire que l’immersion a été totale et sans qu’il y ait forcément eu une impression de redite. Avec en fil rouge la petite excitation de mettre la main sur l’exemplaire d’un titre dédicacé. Les dédicaces n’ont pas été non plus une obsession, mais un fil rouge lors des deux premières journées assez plaisant.

Si je me souviens bien, je crois avoir eu ma première dédicace en 1983, à Angoulême. Ecolier, j’avais accompagné mon père au festival et j’avais rapporté un Ric Hochet dédicacé par Tibet et Duchâteau (exemplaire qui a d’ailleurs depuis longtemps mystérieusement disparu de ma bibliothèque, je soupçonne mon frangin de me l’avoir emprunté et de ne me l’avoir jamais rendu). Le dessin était quelconque, Ric Hochet rapidement dessiné de profil mais qu’importe, ç’avait été un instant magique. Il y a eu d’autres trophées depuis, dont Moebius (deux trophées rien que pour lui) ou donc Matsumoto l’année dernière. Le mot « trophée » convient d’ailleurs assez bien. Avec les dédicaces, on peut en effet être amené à faire une partie de chasse. D’abord vous prévoyez les horaires afin de savoir quel sera le meilleur moment pour cueillir ces bêtes discrètes que sont les dessinateurs. Puis vous vous rendez sur le terrain, en tenue adaptée car vous savez que vous allez marcher beaucoup et devoir parfois vous tenir longtemps immobile. Avec si possible un peu de victuailles dans le bissac, pour reprendre un peu de force et se remonter le moral. Ne pas hésiter non plus à être matinal et arriver en avance par rapport aux heures choisies. Sur le terrain, on tombe inévitablement sur d’autres collègues chasseurs, on se raconte de vieux souvenirs de chasse. Et puis, à un moment, vous vous trouvez face à votre proie. Il faut avoir alors le réflexe sûr. Vous dégainez votre album et le tendez d’un geste sûr vers votre proie qui n’aura d’autre choix que d’appliquer sur la page de garde un magnifique dessin. PAN ! PAN ! Voilà, c’est fait, vous ne rentrerez pas bredouille et serez fier de montrer le soir venu à vos proches le trophée du jour.

Il faudrait que je comptabilise mes trophées. Par rapport à d’autres, le chiffre doit paraître ridicule mais quand même, depuis le temps ça doit quand même ressembler à quelque chose. Et avec donc le désir maintenant d’en augmenter le nombre, un des symptômes de la collectionnite. Nous verrons cela pour Angoulême 2021 car je n’ai guère d’autres opportunités là où je suis de chopper d’autres dédicaces. En attendant cela, retraçons donc le fil des festivités du festival le W-E dernier, avec un article récapitulatif qui est devenue une habitude depuis quelques années et qui promet de l’être encore durant bien d’autres.

Si vous avez un peu suivi l’actualité du festival vous le savez, concernant les mangas le festival s’organisait autour d’une sainte trinité : TSUGE – KISHIRO – ASANO.

Dès la première journée j’avais pour programme chargé de voir les expositions consacrées aux deux premiers et de chopper une dédicace du troisième. Histoire de gagner du temps en évitant la galère de trouver une place pour la voiture, j’eus l’idée de me rendre au festival en car. Une heure de route, 2 euros le voyage, ça me semblait intéressant pour gagner du temps. En fait mal m’en a pris : en plus de NRJ et de sa musique de merde que j’ai dû me farcir tout le long, à l’arrivée on a dû se cogner un embouteillage monstre du fait de l’arrivée de Macron qui avait décidé de montrer qu’il kiffait la BD. Ça commençait mal et c’est à 10H20 que j’ai pu descendre de l’Espace Franquin. Ça allait vite s’arranger avec une rapide visite à mon cousin. Fantasio a son cousin Zantafio, moi j’ai mon cousin Rikol. A la différence qu’il n’est pas tourné vers le mal mais vers le bien, en particulier celui du festivalier puisqu’il est à la tête d’une des activités proposées lors du festival. J’en avais déjà parlé, l’homme est généreux et sait rendre service à la familia :

Ma Olrik ! Tou es dé la famille ! Tu peux mé démander ce que tou veux, tu sais bien que jé té lé donnerai !

Et un peu magicien avec ça, le cousin Rikol. Il n’a juste qu’à plonger sa main dans sa poche pour qu’imméditement, HOP ! surgisse non pas un lapin mais…

Un pass VIP !

Mesdames les lectrices, admirez au passage la pilosité virile, très Sean Connery dans Goldfinger, de votre serviteur.

Mon cousin, c’est un peu un de ces bons mages que l’on rencontre dans des RPG vidéoludiques. Je sais à chaque fois que je ne repartirai pas les mains vides puisqu’en plus du précieux pass l’ami me donne un sac avec quelques albums ayant concouru pour un des prix du festival. Moi, maintenant je prévois le coup, je mets une bonne bouteille dans mon sac pour la lui filer en échange de ses bons procédés.

Le quart d’heure de causette passé, je le laissai à son programme chargé (dans les différents sens du terme d’ailleurs, quand je le revis samedi après-midi, il était effectivement bien chargé des nombreux verres de champagnes engloutis lors de moult buffets mondains) pour me rendre recta à la bulle du Nouveau Monde. Un objectif, confirmer au stand du Lézard Noir que les horaires de dédicaces de Hisao Eguchi.

J’aime bien le Lézard Noir, leurs publications sont certes un peu chères mais comme ce sont des titres atypiques avec en plus la volonté de proposer un format plus grand, je suppose que les tirages et les coûts de fabrications ne permettent pas de descendre sous la barre des 10€. En tout cas ajouter Eguchi à leur catalogue est un joli coup. Pour ma part j’ai regretté de ne pas avoir acheté lors de mon précédent séjour au Japon son dernier artbook, STEP. J’avais failli l’acheter et puis, comme j’avis déjà énormément dépensé en bouquins, j’avais laissé tomber. C’est dommage car plutôt qu’un exemplaire de Stop ! Hibari Kun, je le lui aurais volontiers fait dédicacer. Bref, au stand je demandai eu gérant barbu les conditions de la dédicace : pas de tickets, on achète un exemplaire au stand et normalement c’est bon, les mangakas étant rapides pour dédicacer, tout le monde devrait trouver son bonheur. J’achetai en prévision de la dédicace (qui aurait lieu samedi matin à 10 heures) le tome 1 de Hibari kun puis filai vers l’espace « le monde des bulles » (communément appelé la bulle du champ de Mars ».

Il y avait déjà un peu la queue à l’entrée, à cause des multiples fouilles pour le plan vigipirate. C’était sans compter sans le pouvoir de mon pass VIP, coupe-file magique qui me fit instantanément gagner 10 minutes d’attente. A l’intérieur les habituels éditeurs franco-belges mais aussi Urban Comics et autre Panini Comics. Un coup d’œil au programme des dédicaces chez Dargaud : Clérisse-Smolderen à 15H. Bon, pourquoi pas ? On verrait cela. Passage sinon obligé chez Casterman qui depuis quelques années fait régulièrement venir un mangaka. Cette année c’était Sansuke Yamada, prix Osamu Tezuka 2018 avec Sengo. Dédicaces à 17H, comme le dernier car était à 18H15, ça pouvait le faire.

Par la suite direction l’Espace Franquin pour une des grosses expos, celle consacrée à Gunnm.

Je la fis un peu rapidement, me disant que de toute façon j’aurais d’autres occasions durant le week-end pour l’apprécier davantage. Mais pour l’évoquer maintenant dans l’article sans y revenir, c’était une très belle exposition. Le commissaire de l’exposition, a en effet bien fait les choses : scénographie élégante et surtout rien moins que 150 planches originales. Le fan de Gunnm n’ayant pu venir au festival n’a que ses yeux pour pleurer car Kishiro lui-même a été vivement impressionné par le résultat. Pour l’amateur de manga de S-F c’était assurément ZE expo à ne pas rater. Elle rendait pleinement justice au travail de l’auteur, les planches choisies montrant la beauté du trait, des ancrages, un travail sidérant de précision, avec parfois des passerelles allant aussi bien du côté d’Otomo que de Moebius. Le tout avec parfois cette rage, cette violence que Kishiro sait rendre dans son trait et ses compsoitions. Seule réserve : l’espace alloué était quand même un peu étroit, y aller le samedi était juste impossible mais d’un autre côté, comme il s’agit d’une œuvre populaire, pas sûr que lui consacrer un espace plus grand aurait changé grand-chose. À noter que la boutique Gunnm au sous-sol offrait un shikishi pour l’achat d’un livre, ce que je fis : 

 

Ensuite direction le musée d’Angoulême avec le gros morceau de l’édition 2020 : l’exposition Yoshiharu Tsuge. Là aussi, je l’ai faite rapidement, me disant que je retournerai la voir plus tranquillement le dimanche. J’en vis cependant assez pour me faire une idée assez juste de la collection de planches rassemblées à grand frais (on parle de plusieurs millions d’euros pour l’assurance de l’exposition) : cette expo était juste une tuerie absolue. Je ne vais pas mentir en affirmant que je connaissais déjà très bien l’art de Tsuge. Je savais que c’était un nom important du manga, qu’il avait été un des piliers du magazine Garo, que son histoire intitulée La Vis était considérée comme une date dans l’histoire du manga, mais c’était à peu près tout. J’avais récupéré sur internet des versions pirates traduites en anglais mais je n’avais jamais pris le temps de les lire. Là, j’ai très vite compris à quel maître j’avais à faire. Je garde surtout en mémoire un stupéfiant travail concernant le rendu des textures. Qu’elles soient minérales, végétales ou liquides, elles dénotent à chaque fois une parfaite possession des moyens techniques. Le genre d’exposition qui fait tomber les barrières du côté de ceux qui ne jurent que par la BD franco-belge ( ou américaine) et qui auraient tendance à prendre de haut le manga. En voyant l’expo, impossible de ne pas se dire que l’on est juste face à un génie du dessin, qu’importe sa nationalité. À ce sujet, dimanche matin une délégation triée sur le volet a pu tranquillement admirer l’expo. Parmi les privilégiés, Tsuge lui-même, Stéphane Beaujean, le directeur artistique du festival, mais aussi Charles Burns et Inio Asano venus vérifier par eux-mêmes que le génie Tsuge n’était pas une légende, qu’il existait encore bel et bien. Imaginer le prodige Asano dans ses petits souliers face au maître en dit assez sur la portée artistique de ce dernier. Petite vidéo sur cette visite ultra VIP (là, mon bracelet n’aurait été d’aucune utilité je pense) :

Une bonne nouvelle pour ceux qui n’auraient pu venir au festival : comme pour les expos Tezuka et Matsumoto, l’exposition sera au musée d’Angoulême jusqu’au 15 mars. Vu que les possibilités de mettre en place ce genre d’exposition étant aussi rares que la venue de la comète de Halley, pas impossible que j’y retourne avec Olrik senior qui ne jure que par la BD franco-belge old school. Je l’avais déjà amené à l’expo Tezuka et il avait rendu les armes rapidement devant la maîtrise technique.

Ensuite, direction Manga City. Là, j’ai un peu merdé. Pensant que le chapiteau avait été dressé à côté du musée de la BD, comme l’année dernière, je suis descendu à pinces le long des remparts pour me rendre compte qu’en fait, non, il avait été délocalisé à côté de la médiathèque. Erreur de débutant, cela m’apprendra à ne pas mieux planifier mes journées. Bref, après une bonne demi-heure de marche j’arrivai au Manga City. On ne va pas faire la fine bouche, l’endroit était plutôt sympa. Je craignais un de ces cirques avec les inévitables cosplays d’ados qui me gonflent bien à chaque fois. En fait de performance, c’était plus sobre et en même temps bien plus classe : Baron Yoshimoto exécutait une gigantesque fresque juste à côté du stand ATOM qui l’avait fait venir.

Le magazine se démerde bien, déjà plusieurs années d’existence au compteur, un nombre considérables de légendes interviewées, il est devenu une valeur sûre pour les amateurs avides d’informations prises à la source. La petite nouveauté cette année venait de la collaboration avec Baron Yoshimoto qui dessinait donc cette fresque tout le long du festival mais qui dédicaçait aussi sur le stand son artbook.

45€ pour un auteur relativement confidentiel, ça me semblait un peu chaud. Mais comme je savais que son nom était à associer à de glorieux magazines (Manga Action, Big Comic, Shônen Sunday, Shônen Jump…) et que samedi, en fin de festival, alors que mon cerveau était un brin grillé, je l’avoue :

J’ai complètement craqué !

Et je ne le regrette pas. Moi, je voulais à la fin juste prendre une photo souvenir du baron mais c’est alors que ce dernier a insisté : « Allez Olrik kun, fais pas ta timide, viens prendre la pose à côté de moi ! » Bon, ben d’accord alors (au passage remarquez mon précieux t-shirt Gegege no kitarô qui augmente automatiquement de 80% le capital sympathie des auteurs pour ma modeste personne. Im-pa-rable).

Bref un moment sympa et qui n’a pas été bien énergivore. Moins le cas en revanche pour l’obtention d’une dédicace d’Asano. Comme pour l’obtention de Matsumoto l’année dernière, il fallait d’abord acheter une nouveauté de l’auteur au stand Kana afin de participer ensuite à un tirage au sort. C’était quelque chose comme 40 tickets gagnants parmi 80 tickets. Bref, une chance sur deux. L’année dernière j’avais à mes côtés le sergent Olrik jr et le caporal Olrik the 3rd qui avaient maximisé mes chances. Là, je ne pouvais compter que sur ma bonne étoile Bref, après 45 minutes à poireauter dans la file, le moment décisif arriva, moment qui me vit avoir en ma possession un ticket…

Ami lecteur fan d’Asano qui tuerait père et mère pour avoir une dédicace de ton magaka préféré, je sais ici ce que tu penses : que je suis un sacré enfoiré de veinard. J’avoue moi-même que je n’en reviens toujours pas. Peut-être que le pass de mon cousin Rikol avait des pouvoirs magiques que je ne soupçonnais pas ? En tout cas c’est la bave aux lèvres et limite avec une érection que je pris ma euh la queue pour cette fois-ci m’approcher de l’auteur de Solanin. Une heure d’attente, le temps que la star arrive et que vienne mon tour. Après un peu de retard par rapport à l’heure indiquée, nous vîmes arriver une silhouette longiligne avec une tignasse blonde et une chemise à fleurs très stylée : c’était lui. Pour l’occasion, j’avoue avoir beaucoup hésité concernant le titre sur lequel il allait apposer sa griffe. Il fallait acheter une nouveauté mais rien n’interdisait d’acheter un autre manga pour le faire dédicacer. Finalement je me contentai de l’intégrale d’ Un Monder formidable, sa première série alors qu’il n’était âgé que de 22 ans. Le format était plus grand que celui des volumes de Bonne nuit Punpun, la dédicace n’en serait que plus belle. Quand vint mon tour, je n’eus guère le temps de causer, l’homme exécutant son dessin en deux temps trois mouvements. J’évoquai tout de même l’excellent épisode de Manben, la série de la NHK présentée par Naoki Urasawa, qui lui avait été consacré. Pour ceux qui ne connaitraient pas, c’est à voir : on y découvre la technique d’Asano associant photographie et informatique dans un processus créatif qui permet de transformer la photographie d’un bête ustensile de cuisine en une partie de vaisseau spatial. Tenez, voici l’épisode :

Le dessin achevé, je remerciai chaleureusement et m’empressai de me rendre dans un coin pour admirer le résultat :

Voilà qui ne ferait assurément pas tâche dans ma collection. Après un tel coup d’éclat, il ne me remontait plus que remonter vers le centre pour flâner et aussi me rendre à la bulle du champ de mars pour Sansuke Yamada. Là-bas, j’allai quand même jeter un coup d’œil du côté de chez Dargaud : quasi personne pour Clérisse et Smolderen ! J’avais beaucoup aimé leur Été diabolik et son ambiance vénéneuse et colorée, du coup je m’empressai d’acheter Une Année sans Chthulhu pour le dédicacer. Amateur de Lovecraft et ayant fait autrefois mes délices de parties de l’Appel de Chthulhu cette histoire de lycéens durant les 80’s s’adonnant aux joies de ce jeu de rôles avait tout pour me plaire.

Après opération Sansuke Yamada donc. Il était 16H30, le temps d’acheter le tome 1 de Sengo, j’arrivai à la file d’attente (raisonnable, sept personnes avant moi) dix minutes plus tard. Cela devrait être les doigts dans le nez pour le car de 18H15. On arrive rapidement à 17H… 17H05 (toujours pas de Yamada ?)… 17H10 (bon…)… 17H10 (mais qu’est-ce qu’il branle bordel !). À 17H10 une personne du stand Casterman nous explique son retard : comme c’est la première fois que le dessinateur participe à une séance de dédicaces, il avait oublié au Japon tous ses outils ! Du coup il était à la librairie de la galerie commerciale située sous la bulle pour en acheter d’autres ! C’était plutôt drôle et il n’y avait rien à redire à cela. Au pire, il devait y avoir d’autres séances lors des journées suivantes donc je pouvais rater celle de vendredi. J’attendis néanmoins et c’est vers 17H25 qu’il radina. Cinq minutes par dédicaces, c’est à 17H50 que vint mon tour, ce serait bon pour le dernier car. L’homme était souriant et affable, durant l’exécution de la dédicace, j’ai pu échanger un peu par le biais du traducteur sur le magazine dans lequel il était publié (Comic Beam) et sur les autres noms qui s’y illustrent. Quelques minutes plus tard j’obtins ceci :

Trois dédicaces dans le sac, voilà qui allait dégager du temps pour les expos lors des journées suivantes. Au passage, je viens de finir le premier tome Sengo, je pense que c’est une série que je vais suivre jusqu’au bout (on parle de huit ou neuf tomes). Joli trait rond, ambiance d’après-guerre avec soldats et prostituées qui m’a fait penser à certains films, le titre est sans doute la nouveauté la plus intéressante du mois. Le dernier numéro d’ATOM consacre d’ailleurs quelques pages à Sansuke Yamada.

Après un retour à la base dans un car lui aussi diffusant non pas un adagio sur France musique mais une émission débilitante sur NRJ (pléonasme – au passage je conchie ces compagnies de transports  en commun – ici la CITRAM – qui permettent à leurs conducteurs d’imposer aux voyageurs leurs goûts de merde, et de les empêcher de faire une sieste durant le voyage). Cela m’acheva un peu mais moins tout de même que de me lever le lendemain à 6H20 pour une journée de boulot entre deux journées de festival. Je passe sur ce pénible moment pour les dernières festivités du samedi et du dimanche. Dimanche je m’y rendis cette fois-ci en voiture et avec de la bonne musique. Finalement, arriver tôt pour se rendre au parking du champ de mars est une solution pratique. Olrik jr, 14 ans, élève de troisième, m’accompagnait pour une partie de la journée avant d’accompagner des amis. Arrivés bien en avance avant l’ouverture des bulles, nous allâmes prendre un café et un chocolat chaud à un bar situé devant le bulle du Nouveau Monde et le pass du cousin aidant, nous arrivâmes au stand du Lézard Noir avec déjà un peu de monde pour les dédicaces d’Eguchi mais c’était loin d’être la mort.

Hisashi Eguchi est moins un mangaka qu’un illustrateur. Il a certes commencé au Weekly shonen Jump avec Stop ! Hibari Kun ! mais c’est surtout pour son chara design pour Roujin Z et ses nombreuses illustrations publicitaires montrant de jeunes femmes très stylées qu’il est connu. Lors d’un séjour au Japon, j’avais eu la chance de tomber sur une expo qui lui avait été consacré au musée du manga à Kyoto. Un chouette souvenir même si je me maudis de ne pas avoir pris un des beaux ouvrages qui étaient disponibles à la boutique du musée. Une dédicace pleine page sur un artbook, c’est tout de même sacrément classe. Néanmoins, en plus du premier tome de Hibari Kun, je projetai de lui demander une petite signature sur deux cartes postales que j’avais achetées lors de l’expo à Kyoto :

Pour celle de gauche, je lui demandai s’il n’avait pas eu de problèmes avec Moulinsart. Le traducteur avait à peine fini la traduction de ma question qu’Eguchi se marra : oh que si ! Il n’entra pas dans les détails mais apparemment, les sbires de Nick Rodwell lui étaient rapidement tombés dessus. A part ça je posai la question même si la réponse me semblait évidente, à savoir s’il aimait le travail d’Hergé. Son « oui » avait tout d’un oui définitif. Eguchi et Hergé ont en commun une expérience dans l’illustration et la ligne claire d’Hergé ayant la capacité à faire œuvre indépendamment du contexte de la planche, on peut aisément comprendre l’intérêt d’Eguchi pour le Belge.

Après mon tour arriva celui d’Olrik jr qui avait acheté le tome 2 pour le dédicacer puis nous sortîmes de la bulle du Nouveau Monde pour d’autres aventures. Ici je ne vais rentrer dans les détails. J’allai découvrir la sublime expo consacré à Wallace Wood que je ne connaissais pas mais sinon, il y a donc eu l’excellent Baron Yoshimoto en fin de journée et une quantité d’achats déraisonnables. Passons plutôt à l’ultime journée, passée en la compagnie d’un vieil ami et de son fils que descendent chaque année de Tours pour passer le samedi soir à la maison avant de faire le festival le dimanche.

Magnifique expo Wallace Wood !

Cette journée est infiniment plus propice à la visite des expositions. Il y a toujours du monde, mais moins que pour le jeudi (journée des scolaires) et le samedi (il me reste à tester le vendredi). Du coup j’ai vraiment profité des expos Gunnm et Tsuge. Olrik the 3rd, qui accompagnait cette fois-ci son grand frère, désirait se procurer une dédicace de l’auteur de Yakari. Mais comme Derib n’était pas là, il a fallu trouver une solution de remplacement. Je songeai aussitôt au magnifique Wasterlain et son Docteur Poche qui avait fait mes délices à l’époque où je lisais le journal de Spirou. Wasterlain n’est plus vraiment un perdreau de l’année mais il a toujours une main sûre. Olrik the 3rd n’a en tout cas pas perdu une miette (et moi non plus) du beau dessin qui s’est réalisé sous ses yeux.

La journée s’est terminée au Manga City puis à la médiathèque afin de voir l’expo consacrée à Robert Kirkman, l’auteur de Walking Dead. Pas fan du tout de la série mais je reconnais que la scénographie de l’expo était attrayante. Pour ce qui était de la violence, j’avoue que celle de Kishiro me semble plus percutante.

Par la suite, direction le vaisseau Moebius pour une chouette expo consacrée à Jean Frasetto, puis le musée de la BD où Olrik jr put admirer un joli coin dédié à Yakari. Je passe sinon sur l’expo Trondheim que j’ai laissé tomber deux minutes (certains traits ne se prêtent absolument pas à une expo, celui de Trondheim est de ceux-là) pour l’expo Calvo. Un peu rude de terminer un festival avec de ces œuvres appartenant à la préhistoire de la BD. Néanmoins, les deux gros livres sous verre rassemblant les planches originales de La Bête est morte permettait de conclure dignement ce 47ème FIBD.

Le 47ème FIBD est mort, vive le 48ème ! Pour l’heure pas d’informations sur les futures expositions ou sur la venue éventuelle de mangakas. Mais comme c’est parti depuis pas mal d’années maintenant, je gage que l’on devrait être encore rassasié.

 

France 1990, le manga entre dans la zone

A l’heure où les magazines consacrés au Japon, aux mangas où à l’animation se bousculent dans nos kiosques, faisons un petit retour à une époque où le mot manga n’était pas encore dans le dictionnaire et où il fallait s’accrocher pour se satisfaire la rétine avec des titres publiés par des éditeurs américains, ou pour tout simplement s’informer, se tenir au courant des actualités ou apprendre des choses sur l’histoire du manga à une époque où internet n’existait pas.

On a souvent coutume de dire que la première occurrence du terme « manga » en France se trouve dans Le Cri qui tue, le premier fanzine sur le sujet, publié par un Japonais désireux de faire découvrir la B.D. de son pays, Atoss Sakamoto. Comme à l’époque je n’était qu’un petit garçon qui se contentait de regarder Goldorak à la TV, je n’ai pas connu le choc de découvrir un chapitre de Golgo 13 dans une publication. Cependant, parallèlement à la sortie en France d’Akira, j’ai connu celui de tomber sur L’Univers des mangas, de Thierry Groensteen, en 1991. Premier essai sur le sujet, bourré d’infos et généreusement illustré, c’est un ouvrage que j’ai parcouru sans cesse durant pas mal d’années, en attendant patiemment que les éditeurs français daignent se sortir les doigts pour enfin publier des titres dans la langue de Molière.

Lire L’univers des Mangas, c’était un peu une variante du supplice de Tantale. J’avais sous les yeux une pléthore de titres et d’images appétissantes, mais impossible de mettre la main sur ces mangas qui me semblaient à jamais voués n’être publiés que par le truchement de la bonne volonté d’éditeurs américains, qui plus est dans des formats de type « comics » peu adaptés. Malgré tout, avec l’arrivée d’Akira, les premières conventions dédiées aux mangas et à la japanimation, les premières VHS, il y avait lieu d’espérer. Pourtant L’Univers des mangas se terminait sur un constat pessimiste quant à l’éventualité du développement du manga en France. Et bien pas grave ! Tant qu’il y avait des moyens de contrebande pour choper des copies de VHS ou mettre la main sur des fascicules de Viz comics, c’était mieux que rien. Et tant qu’il y avait des passionnés comme ceux de la bande qui concoctaient les numéros de Mangazone, on était heureux d’entretenir la flamme en attendant des jours peut-être meilleurs (et qui, on ne le savait pas encore, n’allaient pas tarder à arriver).

Mangazone, kézaco ? Eh bien pour faire simple c’était l’équivalent d’ATOM en ce début des années 90. Edité par l’association SAGA, qui éditait déjà le fanzine SCARCE sur l’univers des comics, Mangazone est le premier fanzine, entendons « de qualité » si on le compare au Cri qui tue, sur le manga. Ici jetons un sort tout de suite au terme « fanzine » qui paraît à la fois approprié et déplacé. Que Mangazone ait été animés par des « fans », des amateurs dont le but était de faire partager leur passion sans chercher à se faire du blé, n’est pas douteux. Mais il y a amateurisme et amateurisme, et il ne faut pas longtemps pour comprendre, à la lecteur des articles que les rédacteurs étaient des amateurs particulièrement éclairés et qui pouvaient en remontrer à nombre de journalistes dits « professionnels ». Visuellement, la première page du premier numéro ne fait pas envie :

Typographie de machine à écrire, reproduction en médaillon de Tetsuo dégueulasse, mots soulignés, bonjour l’amateurisme cradingue ! Mais il suffisait de se plonger dans les pages qui suivaient pour comprendre la solidité des lumières des rédacteurs ainsi que des qualités d’écriture. Ils ne se contentaient pas de résumer mollement des mangas mais bien d’analyser leurs spécificités graphiques et narratives. Avec à la clé des dossiers touffus et instructifs. Ainsi le premier numéro qui, sur ses trente pages, en consacre rien moins que douze à Akira Toriyama :

Profusion de textes bien écrits et d’images en V.O., c’était un véritable plaisir que de se plonger dans la lecture dudit dossier.

Dans le deuxième numéro (celui que j’ai acheté en premier, avant de me procurer le n°1 et de suivre la publication), un « petit guide pratique des mangas » de sept pages étaient proposés, sept pages généreusement accompagnés de titres inconnus au bataillon (et forcément fascinant)…

… ainsi que de délicates bijins issues de mangas adultes.

A noter la présence de quatre pages consacrés à 2001 Nights, le chef-d’oeure S-F  de Yukinobu Hoshino, ainsi que deux sur Urotsukidoji. C’est sans doute là que j’ai découvert ma première planche d’ero guro à base de shokushu (pour savoir ce que c’est, voir ici. Les pourfendeuses du dernier film de Polanski peuvent d’ores et déjà passer leur chemin)…

On y trouve aussi un article faisant le point sur le 18ème festival d’Angoulême qui  faisait honneur au Japon. Enfin, qui s’efforçait de rendre honneur au Japon et à ses mangas car le monde étant alors en pleine guerre du Golfe, nombre d’invités japonais, pensant sans doute que la France et l’Irak étaient des pays voisins, ont cru plus sage d’annuler leur venue. On apprend cependant que Jiro Taniguchi, Masashi Tanaka et Buichi Terasawa avaient fait le déplacement. Un Terasawa qui « a arboré tout le long du week-end une mine renfrognée » qui laissait supposer qu’il n’avait pas eu son mot à dire sur sa venue. Couac qui s’accompagna d’autres déconvenue faisant sire à l’auteur de l’article que cette édition « spécial Japon » n’avaient pas été à la hauteur des espérances initialement nourries. Vingt-cinq années plus tard, il est bon de constater maintenant combien le festival a su apprendre de ses erreurs et rendre honneur au monde du manga.

La jolie couverture du troisième numéro annonçait un alléchant dossier Takahashi mais aussi un article consacré aux mangas en France avant Akira. Sans surprise il y est fait mention du Cri qui tue mais aussi du magazine Mutants qui, le temps de 11 numéros  (de janvier 1985 à janvier 1986) publia Androïde (Jikken Ningyou Dummy Oscar) de Kazuoi Koike et Seisaku Kanō, manga de S-F torride, ponctué de multiples scène de sexe (et dont on avait d’ailleurs un aperçu dans L’Univers des mangas de Groensteen). Référence qu’il peut être intéressant d’avoir en tête dans des vide-greniers.

Le quatrième  numéro présentait un dossier robots mais je me souviens en particulier de deux pages amusantes présentant un ouvrage d’une psychologue pour enfants, ouvrage sobrement intitulé À cinq ans, seul avec Goldorak. J’avoue que j’ai toujours eu envie d’aller farfouiller du côté d’ebay pour essayer de dénicher cette perle qui doit receler de passages croquignolets. L’auteur de l’article ne se prive pas en tout cas d’en délivrer. Ainsi le témoignage de la petite Sandrine C. (qui, on, l’espère, aura évité plus tard de se mater Urotsukidoji) : « Je l’aime pas parce que avec ses grosses cornes, j’y pense, et je crois qu’il tue ma maman ». Pour la bonne bouche, je vous offre les deux pages en question :

Par la suite j’ai arrêté d’acheter Mangazone qui a pu aller jusqu’au huitième numéro avant d’arrêter pour des raisons financières. Je ne me souviens plus trop pourquoi je n’ai pas continué. De mémoire les publications de manga en France commençant à se développer, j’imagine que mon pouvoir d’achat de lycéen avait dû faire des choix. Il n’empêche, je garde précieusement mes quatre numéros de Mangazone et il est probable que je complète un jour ma collection en farfouillant les bonnes occases sur le net. Car bien plus qu’un fanzine, Mangazone était un passeur qui, à une époque encore une fois où internet n’existait pas (on y était presque), répondait à la curiosité tout en l’aggravant, lui donnant une féroce envie de toujours en découvrir plus. A la fois frustrant et terriblement stimulant. Merci Mangazone.

Excellente quatrième de couverture du premier numéro.

 

Bijins de la semaine (64) : Deunan Knute et les Shirow girls

Il fut un temps où Masamune Shirow a été copieusement édité en France. Dans les années 90 précisément, Akira et Dragon Ball avait ouvert la voie – avec quelques titres plus confidentiels chez Tonkam – et bientôt allait suivre une pléthore d’œuvres d’une pléthore de genres. Parmi ces titres, ceux de Shirow : Appleseed, Black Magic, Orion puis, plus tard, Ghost in the Shell, porté par son adaptation au grand écran de Mamoru Oshii. Un peu comme un autre mangaka de sa génération, Ryoichi Ikegami, les rééditions ont eu tendance à se casse la gueule et l’on ne trouve plus guère que les derniers tomes de Ghost in the Shell en magasin, alors que les volumes d’Appleseed semblent être de plus en plus rares à dégoter. Peut-être que cela reviendra et il faut le souhaiter car en matière de cyberpunk en manga, on a rarement fait mieux depuis. O.K., il y a Boichi et son récent Origin qui n’est pas mal troussé (bien qu’il commence à m’ennuyer). Mais il faut savoir qu’à la fin des années 80, quand parurent les premières éditions américaines d’Appleseed chez Dark Horse, ce fut un choc pour le Olrik ado d’alors, ainsi que pour pas mal d’amateurs de BD exotiques venant d’Asie. Bien que je commençais à m’habituer à lire des mangas en anglais, je me souviens que ce titre était particulièrement ardu à décrypter de par la masse d’informations techniques qu’on y trouvait. Pas grave, l’intensité des scènes d’action était là pour me contenter.

En 1992 certains fanzines (le n°1 de Tsunami et le n°4 de Mangazone) y allèrent de leurs articles sur Shirow, découvrant un peu plus un univers bardé de mechas et de femmes d’action. Et c’est en 1994 que Glénat se décida à publier la première édition en français d’Appleseed. Je crois me souvenir que j’avais été interloqué par sa découverte. Je m’étais rendu à ma librairie de BD préférée lorsque je tombe sur une pile d’exemplaires du tome I d’Appleseed ! Comment diable ? Mais on ne m’avait pas prévenu ! Et avec en plus en couverture ceci :

Un putain de cyborg, une héroïne pulpeuse en diable dotée d’un gros flingue, c’était tout Shirow ça. Sortant un billet de cent francs, je m’emparai d’un précieux exemplaire pour le lire illico chez moi. J’allais enfin comprendre la complexité de l’histoire que je n’avais fait qu’effleurer chez Dark Horse. Enfin ça, c’est ce que je croyais car même en français, il faut bien reconnaître qu’Appleseed est encore un peu obscur. C’est ce qui peut plaire à l’amateur de Hard S-F et de cyberpunk compliqué, mais c’est ce qui peut aussi parfois rebuter. C’est ce qui d’ailleurs ne m’a pas fait acheter les récentes publications de Ghost in the Shell : Man Machine Interface : trop verbeux, trop fumeux.

Fumeux d’ailleurs comme le goût de Shirow pour les héroïnes. Pourquoi n’a-t-il jamais opté pour un héros ? Voici la réponse qu’il donne dans le n°1 de Tsunami quand on lui demande pourquoi ses protagonistes sont toujours des femmes :

Je pense que ce ne sont pas des femmes au sens propre du terme. Je les traite plutôt comme des idéogrammes. Avec un héros masculin, on peut donner l’impression que l’œuvre est stable et bien ordonnée. Cependant, il existe alors un risque de créer un style lourd et banal. Pour empêcher cela et pour donner à la BD une sensibilité neuve, il faut faire ressortir la personnalité du héros. Dans ce cas, le héros à un poids, une densité trop importante ce qui est impossible dans mes BD car, du point de vue de la structure, elles sont basées sur le principe du multiplexage et de la multiplicité des informations. D’autre part, j’ai pensé qu’il serait plus original de prendre une femme pour héros plutôt que comme accessoire d’un personnage masculin, qui n’apparaîtrait dans quelques scènes que pour la satisfaction des lecteurs mâles. Bien sûr, si je dessine des héroïnes, c’est aussi pour satisfaire mes lecteurs et moi-même, en tant qu’hommes.

Légère contradiction, d’un côté, je dis que je ne veux pas faire d’un personnage féminin une potiche. De l’autre j’avoue volontiers qu’il y aura volontiers du fan service avec une héroïne. Une chose est sûre cependant, ses héroïnes n’ont rien de cruches. C’est ce qui a d’emblée frappé à la lecture d’Appleseed. La couverture du tome 1 de l’édition français mettait l’accent sur le fan service, mais les couvertures des autres tomes étaient plus en accord avec le contenu : l’héroïne, Deunan Knute, n’a rien d’une poupée Barbie s’adonnant à un cosplay hi-tech. C’est une femme d’action, une pure et dure, une tatouée, du genre à en remontrer aux plus velues des Big Jim. Porter des bijoux ? Connais pas ! Elle, son truc, c’est porter un lourd blouson en Kevlar, des rangeots et un flingue à côté duquel le Magnum .44 de l’inspecteur Harry fait figure de jouet pour jouer aux cow-boys et aux indiens dans la cour de récré. Se maquiller ? Le seule maquillage que la bijin connaisse c’est le maquillage de camouflage pour des opérations commando ultra risquées.

Bref, pour le fan service, vous l’avez compris, ce n’est pas du côté de Deunan qu’il faut aller le chercher. Du moins au début. Ironiquement, les deux premières cases dans lesquelles elle apparaît nous la montre comme une inoffensive femme au foyer :

Mais cet aspect gentillet ne dure pas. Très vite les flingues et les regards torves vont être dégainés et il faudra rechercher le fan service plus du côté de la mignonnette Hitomi. Dans la section « data book » qui accompagne le tome 5 on y apprend, outre que « ses mensurations sont top-secret ! », que Deunan « est droitière mais s’est entraînée à être ambidextre en cas de besoin » et qu’ « elle a toujours sur elle deux couteaux. ». Une John Rambo avec des seins, quoi. Et un brin impulsive avec ça !

Cependant, comme bombarder son lecteur de scènes d’action et d’une avalanche d’informations technologiques et géopolitiques pourrait être lassant pour lui, Shirow n’oublie pas d’assaisonner parfois son récit de temps de pause. Et au fur et à mesure que progresse Appleseed, on découvre une Deunan dans la sphère intime. Ainsi ces planches dans lesquelles elle accompagne Hitomi dans un sento futuriste :

Mais aussi ces cases où l’on découvre que la belle a un amoureux en la personne de…

Briareos !

Briareos, son coéquipier, mentor, homme dont le corps n’est plus maintenant qu’une machine à 95% (seul le cerveau est d’origine), et donc amant. Ne demandez pas comment ça se passe au lit, je n’en sais rien. Une chose est sûre, la belle est bien amoureuse de la bête, ce qui permet au passage à Shirow de ne pas s’encombrer avec une histoire d’amour traditionnelle. En tout cas cela participe d’une féminisation du personnage qui, même lorsqu’elle sera représentée « en service », sera parfois dessinée de manière à mettre en valeur sa plastique :

On la vu plus haut, quitte à choisir de représenter des personnages féminins, autant se faire plaiz’. D’ailleurs, il se fait tellement plaisir avec cet aspect, Shirow, qu’il ne dessine plus que ça ! Car à côté de ses mangas, le larron est connu pour avoir une multitude d’artbooks plus ou moins érotiques. Cela a commencé avec Intron Depot, en 1992. On le trouvait en import à l’époque. Je me souviens l’avoir feuilleté fébrilement dans je ne sais plus quelle librairie, à la fois ébahi par la joliesse des dessins, la qualité de l’impression, mais aussi frustré devant le prix salé dû à l’importation. A l’intérieur différentes sections consacrés aux différents mangas de l’auteur. Dans celle consacrée à Appleseed on y découvrait une Deunan étrangement tout sourire et moulée dans des combinaisons faites pour laisser apparaître ces mensurations pourtant censées être « top secret » :

Le reste de l’artbook est à l’avenant, on y trouve une multitude de poupées de chair bien pourvues par dame Nature et délicatement insérées dans des mechas d’acier :

Par la suite, l’érotisme s’amplifiera avec d’autres artbooks. Dans Intron Depot 2 – Blades, les noces de la chair et de l’acier se feront dans un univers de fantasy peuplé de bijins dotées de grosses lames :

Avec une différence notable par rapport au premier opus : Shirow tente désormais les poitrines libérées des contraintes textiles. Dans Intron Depot 3 – Ballistics, retour à l’univers cyberpunk. La maîtrise des techniques informatiques, initiée dans Intron Depot 2, est confirmée. Shirow créé des compositions parfois sages, parfois plus sexy :

Les corps se font plus allongés et plus huilés. Ceci rappelle peut-être aux connaisseurs de Ghost in the Shell une certaine scène censurée dans l’édition française, celle où l’on voit des androids lesbiennes faire des choses. De même dans GITS : Man Machine Interface, le lecteur japonais avait eu droit à une scène de cul qui détonnait fortement avec l’emballage cyberpunk. C’est apparemment un des fantasmes (et une facette de son fond de commerce) de Shirow qui a initié dès 2002 une collection de mangas et de posters intitulée Galgrease (gal pour jolie fille et grease pour l’effet huilée qui recouvre leur corps). Les univers représentés tiennent aussi bien de l’archéologie, de la piraterie ou du far west :

Avec à chaque fois deux constantes : des corps longilignes bien huilés donc, mais aussi des scènes de marécage spermatique renvoyant au tout venant ennuyeux de l’hentai actuel. On peut penser que cela ravit l’otaku de base écumant les librairies d’Akiba. Pour l’amateur d’Appleseed, cela fait regretter le temps où Shirow s’essayait à faire autre chose que de dessiner des gros seins huileux et des culs rebondis, à savoir raconter des histoires exigeantes. Pour cela, malheureusement, je crains qu’il ne faille davantage lorgner du côté de la relève (avec Boichi) ou des différentes adaptations anime ou cinéma de son oeuvre. En attendant un improbable sursaut, n’hésitez pas : replongez-vous ou découvrez Appleseed. C’est parfois sacrément prise de tête, mais qu’est-ce que c’est chiadé comme univers !

 

 

 

 

Gegege no Hitler

Etonnant manga que celui créé par l’auteur de Gegege no Kitaro en 1971 (et publié chez Cornélius il y a quelques années). Très loin des sympathiques yokai de sa série phare, Shigeru Mizuki s’est en effet attaché à retracer la vie d’un autre monstre, moins plaisant celui-là, bien plus réel, Adolf Hitler.

En soi, l’entreprise aurait de quoi déconcerter et n’inciterait pas franchement à se pencher sur son cas, n’était la réputation de l’auteur derrière cette entreprise. Après tout, quelle mouche peut bien piquer un mangaka pour pondre près de 300 pages sur la vie de ce triste sire ? Mais on le sait, l’œuvre de Mizuki ne s’est jamais contentée de la frange fantastico-humoristique de son œuvre représentée par Gegege no Kitaro. Témoins ses œuvres autobiographiques comme Nononba ou Opération mort dans laquelle il relate son expérience en tant que soldat durant la guerre du pacifique. Expérience dont il revint amputé d’un bras et plus franchement porté à suivre un discours belliciste (il ne l’a du reste jamais été).

Du coup, la conception de ce Hitler s’explique simplement : il s’agit de comprendre cet homme qui au bout du compte est le responsable d’une multitude de tragédies dont cette expérience guerrière dans le Pacifique et de ce bras en moins.

Pour cela, Mizuki s’est donné les moyens didactiques pour rendre convaincante son entreprise. Documenté, le manga l’est. Un historien aurait peut-être à redire sur telle ou telle donnée mais n’étant pas spécialiste, j’ai trouvé que ce récit biographique plonge le lecteur dans l’Histoire sans aucunement paraître ridicule. On commence avec les débuts d’Hitler comme artiste-peintre, puis on a le petit caporal, l’agitateur politique, le führer, enfin l’homme malade qui finit par se coller une balle dans son bunker. Avec en arrière-plan la gigantesque machinerie de l’Histoire que Mizuki va s’efforcer de décrire tout en évitant de tourner son récit au pensum. En 280 pages on a une leçon d’histoire qui se tient et qui donnera une idée relativement juste de cette période.

Graphiquement, le travail de Mizuki se tient aussi. Pour donner à son récit un aspect concret et véridique il a dessiné un certain nombre de cases à partir de photographies d’archive. Dès la troisième page, Mizuki attaque son récit avec la conséquence essentielle du règne d’Hitler, à savoir l’Holocauste, planche macabre à laquelle répond quelques pages plus loin des actes présentant une grande messe hitlérienne :.

Mizuki alternera ces planches d’une précision toute photographique avec d’autres de son style bien connu, avec des personnages évoquant davantage des pantins que de véritables êtres humains. C’est assez saisissant au départ de voir Hitler sous cette forme :

Être difforme doté d’une grosse tête disgracieuse au regard vide, Hitler a la personnalité qui va avec. Elle aussi désagréable, elle représente un être capricieux, convaincu de son génie et aux réactions exagérées. Là aussi, peut-être les spécialistes y trouveront à redire dans ce qui peut apparaître comme des raccourcis caricaturaux, il n’empêche que pour cela aussi, on finit l’ouvrage en ayant l’impression d’avoir une idée convaincante, assez juste du bonhomme. En tout cas on se demande au début comment ce personnage qui n’est à tout prendre qu’un sombre imbécile va parvenir à devenir le dictateur le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité. Etape par étape, Mizuki va décrire les différentes métamorphoses du personnage qui, de par des décisions culottées mais non sans intelligence, ainsi que par l’idéologie que l’on connait et qui va lui permettre une ascension irrésistible, va devenir l’être moustachu à l’origine d’une guerre mondiale. A la fin du livre on se sera habitué à son apparence graphique de guignol et il ne fera évidemment plus sourire. Infusés dans la gravité des événements historiques et des cases au style photographique, le style de Mizuki fait oublier son apparence caricaturale pour être pris totalement au sérieux. C’est tout juste si l’auteur s’autorise ici et là une facétie sous forme de clin d’œil à son lectorat japonais :

A la fin, Mizuki n’oubliera pas de décrire la démence toujours plus profonde dans laquelle s’enfonce le personnage, fin dérisoire rappelant finalement combien cet individu est tristement humain. Dans sa manière de le représenter alors qu’il est au fait de sa puissance, Mizuki ne cherchera pas à forcer le trait en le diabolisant. Il essaiera toujours de le présenter le plus justement possible, autant dans ses défauts, ses ridicules, que dans ses qualités (notamment de stratège). Les récitatifs sonnent toujours plus comme appartenant à la voix de l’historien plutôt que du procureur, les actions et les faits parlant de toute façon d’eux-mêmes. Le jugement se fera seulement par le biais de deux implacables constats. L’un pour le peuple juif :

L’autre pour le peuple allemand :

Avec Opération mort, Hitler conclut un diptyque antimilitariste à la fois rigoureux dans les faits, personnel et pertinent au sein d’une œuvre qui s’est souvent attachée à comprendre ce qu’est le mal. Un diptyque d’une grande justesse montrant l’étendu du génie de Mizuki pour le cas où l’on en douterait encore, et qui a toute sa place dans une bibliothèque, aux côtés d’un Maus et d’un Meta-Maus.

Angoulême 2019 (2/2) : Number 5 et Matriochka sont à la maison !

Résumé de l’épisode précédent : Ça va mal pour Olrik the 3rd et Olrik jr ! Embringués par leur papounet dans une séance de tirage au sort de tickets gagnants afin d’obtenir une dédicace du grand Taiyô Matsumoto, ils n’ont d’autre choix que de gagner s’ils ne veulent pas rentrer chez eux en auto-stop. C’est Olrik the 3rd qui vient de recevoir en premier un ticket de l’homme qui gère le tirage. Il le prend, le retourne et…

… le mot « gagnant » apparaît !

Illico je décrispe les mâchoires, c’était bon, le contrat était rempli. J’ai à peine le temps de penser à tout cela qu’Olrik jr s’est avancé pour recevoir lui aussi un ticket sur lequel figure :

« gagnant »

Et de deux ! Je le savais qu’avec de tels gènes de ouinneurs, la chair de ma chair était prédestinée à la victoire ! Et la passe de trois allait forcément se réaliser. Ce chiffre de trois me fit penser d’ailleurs à cette formule magique dans Ping Pong, ce « HERO KENSAN ! » qu’il faut clamer trois fois pour que le héros apparaisse. A cet instant j’entendis une musique monter en moi :

Le héros, c’était moi forcément, mentalement je prononçai la formule, je pris dans ma grosse main le ticket tendu par le gars du stand puis je lus…

« perdant » !

Qoâ ? Quel était donc ce pied de nez offert par les dieux du manga ? Tout cela était bien peu sympa envers un ronin de la blogosphère japanisthanaise qui suait sang et tripes sur son site depuis tant d’années. Mais je réfléchis, ces dieux avaient dû être touchés de voir que des clampins tels qu’Olrik jr et Olrik the 3rd avaient été emmenés par leur paternel pour participer à une séance de dédicace d’un mangaka à des années lumière des shonens de leur âge. Face à une telle élévation pédagogique, il convenait de les récompenser.

Et puis foin d’explications oiseuses, on allait avoir deux dédicaces de Matsumoto, c’est tout ce qui importait. Juste à côté se trouvait l’essentiel de la boutique sur Kana où l’on pouvait justement acheter des mangas de l’auteur qui allaient nous permettre d’avoir un ticket justificatif donnant le droit à avoir un précieux dessin. C’est alors qu’eut lieu cet intéressant dialogue entre Olrik jr et moi :

OLRIK JR – Bon ! Qu’est-ce que je vais choisir comme livre à dédicacer ?

MOI – Tiens, donne-moi ton ticket au fait.

OLRIK JR – (méfiant) Pourquoi ?

MOI – (en souriant et en lui arrachant le ticket de la main) Mais parce que comme c’est moi qui ai payé les billets pour accéder au festival, il est juste qu’il me revienne, mon petit.

OLRIK JR – Hé ! Mais c’est pas juste.

MOI – J’ajoute que ta participation au tirage au sort, souviens-t’en mon lapin, devait surtout te permettre de gagner un retour à la maison, en voiture et bien au chaud, plutôt qu’un retour un auto-stop sous la pluie.

OLRIK JR – (insistant) Hé mais sans nous tu n’aurais rien gagné !

MOI – Certes, il est vrai, mais songe que sans maman et moi, tu n’aurais jamais été fabriqué et tu n’aurais donc jamais pu avoir de ticket gagnant. Allez, abandonne ! Et de toute façon, je suis beau joueur, les dédicaces seront à votre nom (à part) mais les bouquins seront dans ma bibliothèque, ils seraient foutus de me les esquinter.

A la fois interloqué et hilare par l’avant-dernier argument massue, et finalement rassuré par le dernier, Olrik jr laissa donc son papa choisir les livres pour ses enfants. Que choisir justement ? Comme les deux frangins avaient tout deux gagné, il fallait essayer d’avoir une série complète en deux tomes. L’idéal aurait été d’avoir l’intégrale deluxe de Ping Pong. Mais elle n’était pas encore sortie et de toute façon c’était chez Delcourt. En fait il n’y avait pas trente-six possibilités. D’intégrales en deux volumes sorties chez Kana, il n’y en avait qu’une, c’était celle de Number 5 avec ses deux gros pavés :

Alors oui, je sais bien que Number 5 n’est pas le titre le plus accessible, encore moins pour des gosses, mais l’idée d’avoir l’intégrale avec chaque tome dédicacé au prénom d’un des clampins me plaisait. Et puis pour Olrik jr qui se destine à faire des études dans l’univers du dessin, le foisonnement graphique de ce manga pouvait déjà l’intéresser.

Bref, j’achetai les deux volumes (c’était le bon moment car – fin de festival oblige – il n’y avait plus qu’un exemplaire du premier volume) et nous rejoignîmes Applewood et son fils. Comme la séance de dédicace commençait à 15H30, ça nous laissait le temps de reprendre la navette pour retourner dans le centre ville. Direction le musée des arts où se tenaient deux exposition : une justement consacrée à Matsumoto, l’autre à Richard Corben. De grosses miches en perspective !

Après l’émotion du tirage au sort, ça allait me relaxer !

L’expo Matsumoto se tenait à l’étage, au même endroit où avaient eu lieu les expositions Kamimura et Tezuka. Et, une fois encore, il s’avéra que le travail pour rendre compte du travail de Matsumoto n’avait pas été confié à un bédouin. Choix très large et très représentatif de planches originales, choix accompagné de textes éclairants, c’est une magnifique exposition. Je dis bien « c’est » car à au moment où je tape ces lignes elle est toujours visible et le sera jusqu’au 10 mars. Comme nous n’habitons pas loin d’Angoulême, je compte bien y retourner prochainement, histoire de mieux en profiter. Car au moment du festival, c’est toujours le même blème, il y a du monde et un emploi du temps resserré qui ne permet pas toujours de bien en profiter.

Après Matsumoto, c’était au tour de Corben. A l’entrée un vigile nous prévint qu’il y avait des œuvres un peu trop corsées pour des enfants. Comme je connaissais un peu l’œuvre du dessinateur de l’Arkansas, je m’y attendais. Cela tombait bien, comme Olrik the 3rd et le fils d’Applewood montraient de toute façon peu d’intérêt pour les expositions, ils purent nous attendre en s’asseyant dans un coin pour reposer leurs guibolles. Pour Olrik jr, élève de quatrième intéressé par le dessin, c’était bon, voir des créatures bien pulmonées et des athlètes musculeux avec des vits de 60cm n’allait pas le choquer. Encore que…

WTF ?!

Là aussi, belle exposition qui avait cette fois-ci l’originalité de mélanger ses œuvres avec celles du musée d’arts. J’avoue que je regardai un peu distraitement et rapidement, car j’avais déjà à l’esprit l’horaire de 15H30 qui s’approchait à grands pas. Pas grave, c’était une expo que je regarderais plus attentivement quand je reviendrais quelques semaines plus tard pour revoir l’expo Matsumoto.

Une fois sortis, il fallait se diriger vers le champ de Mars afin de choper la navette. En chemin j’hésitai à prendre un peu de notre temps pour resaluer mon cousin. Souvenez-vous, mon cousin, c’est cet homme :

(On peut lire les lignes qui suivent avec cette musique : )

Je ne peux révéler ici quelles sont ses activités au sein du festival mais à chaque fois qu’on va le voir, il nous file un pass VIP. J’ai oublié d’en parler, mais on l’avait vu rapidos le matin et il nous avait justement filé ces pass, pass dont nous n’avions pas forcément l’utilité en fin de festival mais enfin, quand un membre de la familia fait montre de générosité envers les siens, on ne va pas se mettre à refuser, c’est mesquin. Et d’ailleurs, comme je me dis que l’année prochaine ça risque d’être deux journées consacrées au festival plutôt qu’une seule, je pense qu’il sera alors très intéressant d’avoir ce sésame. Bref, j’hésitai à aller le voir pour le remercier de nouveau et surtout discuter aimablement un peu plus car le matin, tout à ses activités festivalières, il n’avait pas eu beaucoup de temps à nous consacrer. Et puis je laissai tomber, me disant que nous verrions plutôt cela après les dédicaces. Il faudrait de toute façon bien revenir dans le centre puisque nous n’avions toujours pas fait la bulle du Champ de Mars.

Il était 15H20 au Manga City quand nous arrivâmes. Soit dix minutes avant l’horaire. Et malgré cela, un coup d’œil à la longue queue (très corbénienne finalement) me fit comprendre que l’attente allait être un peu douloureuse. Une trentaine d’heureux élus étaient en effet déjà en poste. Je soupirai et allai m’installer au bout.

15H45 : Toujours pas la moindre avancée. Je n’ai pas bougé d’un pas. Je suis seul, comme un chien, Olrik jr et Olrik the 3rd ayant eu la permission d’explorer le Manga City en attendant.

16H15 : j’ai avancé… de deux mètres. Sachant qu’il y en a encore une bonne quinzaine avant de me trouver face au maître, je commence à m’inquiéter un peu. La séance est prévu pour durer jusqu’à 17 heures. Que se passe-t-il si les 50 dédicaces n’ont pu être exécutées avant la limite ?  C’est au plus fort de mes inquiétudes qu’Olrik jr arrive pour m’offrir une canette de coca bien fraîche qu’il a achetée avec ses sous au fond du Manga City. Brave enfant ! J’allai tout de suite mieux et repris espoir.

16H30 : comme par enchantement, la file avance maintenant à un bon rythme. Olrik jr, qui est allé voir discrètement en avant-première à quoi ressemblait les dédicaces, me dit que c’était de petits dessins qui ne lui prenaient pas plus de deux minutes. Arrive alors Olrik the 3rd que j’enjoins illico à rester avec moi, la minute M allant arriver sous peu.

16H40 : l’instant tant attendu est arrivé. Matsumoto sensei, accompagné de son interprète, se tient enfin devant nous. Je tends les deux volumes de Number 5 à interpréte qui s’occupe de récupérer les tickets ainsi que de noter les noms en romaji que Matsumoto va faire figurer dans sa dédicace.

Comme les prénoms japonais de mes enfants tranchent avec les précédents prénoms bien français qu’elle a eu à noter, les habituelles questions sont posées quant aux origines japonaises des kids, ainsi que du lieu où se trouve la famille de Madame Olrik. Matsumoto s’étonne un peu de voir des enfants s’intéresser à son Number 5 plutôt qu’à One Piece mais je lui dis que comme dans la Olrik’s house il y a toujours eu le souci de varier les plaisirs culturels pour tirer les enfants vers le haut, il saisit la démarche et ne trouve rien à redire. J’ajoute qu’Olrik jr veut aussi devenir mangaka. Olrik the 3rd, qui sent que l’on est en train de causer de son grand frère, trouve un truc pour attirer l’attention sur lui. Stupeur ! il s’aperçoit qu’un des feutres de Matsumoto sensei est à terre ! Aussitôt il le saisit et s’empresse de le rendre à son propriétaire. Matsumoto se montre très reconnaissant, un peu amusé devant la bouille ronde façon Doraemon d’Olrik the 3rd.

Avant de repartir avec les précieux ouvrages, je demande à Matsumoto si je peux le prendre en photo. Il accepte sans problème. Mais comme j’avais déjà demandé à l’interprète trois minutes auparavant s’il était possible d le prendre en photo durant l’exécution des dessins, et qu’elle m’avait répondu que oui, c’était possible à condition que ce soit dans les limites de l’usage personnel (et donc pas répondu au quatre vents du web), je n’afficherai pas ici le portrait de Matsumoto. Par contre, j’offre une photo de ses mains en train de créer :

Et surtout ceci :

Matriochka et Number 5. Good choice.

Après tant de bonheur, que faire ? Mine de rien il ne restait plus beaucoup de temps. Le festival fermant ses portes à 18 heures, il n’y avait qu’à retourner en ville pour faire rapidos le Champ de Mars. J’en profitai pour voir quand même mon cousin. Pas de bol il n’était plus là ! Bon, ce serait pour le prochain festival. A la bulle du champ de Mars, nous retrouvâmes Applewood et Applewood jr. Comme on approchait de la fin du festival, des stands en profitait pour se débarrasser de marchandises (comme des posters), le bon plan pour Olrik the 3rd qui, comme tous les gamins de 7 ans, trouvait cool de ramener à la maison tous ces trésors. Moi, après la mission Matsumoto accomplie, je regardai les stands des grands éditeurs franco-belges un brin fatigué et indifférent. Un stand cependant attira mon attention, c’était celui de la boutique du festival.  Je m’approche, je regarde… bingo ! Il y est, je veux parler du catalogue de l’exposition Matsumoto. A la boutique du musée on ne le trouvait plus, ni d’ailleurs dans la boutique du festival qui se trouvait au Manga City. Je me souvenais d’avoir envié une Japonaise qui, quelques mètres devant moi dans la file d’attente, avait fait dédicacer ce beau livre à Matsumoto. Toute fière et heureuse, elle s’était ensuite fait prendre en photo par une amie, le livre ouvert à la première page où devait figurer un chouette dessin. Allez, je n’y aurais pas de dessin moi, mais au moins figurera-t-il en bonne place à côté du livre de l’expo Tezuka (et en attendant peut-être ceux sur Rumiko Takahashi et Yohiharu Tsuge, tout deux assurés d’avoir une exposition l’année prochaine).

Il était 17H50, la bulle allait fermer dans dix minutes. Il n’y avait plus qu’à retourner au musée de la BD pour retrouver nos caisses. Avant cela, il y avait tout de même un dernier truc à faire : l’expo Batman à la médiathèque juste à côté de la gare. Descendant à l’arrêt de celle-ci, nous quittâmes définitivement Applewood et son fils qui avaient encore de la route à faire avant de retrouver leur base à Tours, et qui avaient profité du moment d’attente pour nos dédicaces pour y aller jeter un œil. D’ailleurs, même pas y jeter un œil puisque la file pour y accéder était tellement mahousse qu’elle nécessitait une attente de deux heures ! Du coup lui et son fils n’avaient pu voir l’expo, se contentant de regarder la réplique de la Batmobile à l’extérieur. Dommage car l’expo avait l’air d’avoir une scénographie particulièrement réussie. A 18H00, j’espérais qu’il y aurait moins de monde. Il y en avait un peu moins effectivement, mais on en avait clairement pour une demi heure d’attente et comme les guibolles étaient fatiguées, on se mit d’accord pour faire l’impasse. Olrik the 3rd, qui était le plus motivé pour voir cette exposition, ne fut pas trop déçu car au moins il avait la consolation de voir de près la belle Batmobile. La dévorant longuement des yeux, acceptant bien volontiers de se faire prendre en photo devant, il attendait aussi impatiemment de la voir conduite par un monsieur qui s’affairait autour d’elle à effectuer quelques opérations techniques. Je fus un peu dubitatif : elle roulait donc vraiment ? Ce n’était donc pas juste une réplique décorative ? Je posai la question au gars qui me répondit qu’effectivement, elle pouvait rouler mais que lui et son staff évitait de la faire car c’était très compliqué. Quelques mètres derrière nous, une camionnette avec une grande remorque stationna, un long câble avec un crochet allant certainement tracter la Batmobile vers la remorque. Olrik the 3rd, lui, y croyait dur comme fer : la Batmobile allait vraiment vrombir et rouler pour aller sur la remorque ! Plutôt que de briser ses illusions en lui laissant voir une Batmobile se faisant misérablement tirer comme un vulgaire tas de ferraille (vraiment de quoi briser le mythe), je lui expliquai qu’il était inutile d’attendre et qu’il valait mieux retourner à la Olrikmobile qui, elle, fonctionnait et avait du chauffage. Et comme un vent glacial était tombé depuis quelques minutes, Olrik the 3rd accepta de partir sans trop ronchonner.

Quarante-cinq minutes plus tard nous étions à la base à raconter toutes nos aventures à Madame. Je m’empressai de contempler tranquillou à mon burlingue Number 5 et Matriochka, avec le sentiment du devoir accompli. Après tous ces bains de foule je sentais un peu fort sous les aisselles, c’est vrai, mais au moins j’avais la satisfaction de rapporter une pièce de choix à la mangathèque familiale, du meilleur effet aux côtés d’autres mangas dédicacés et autres précieux art-books. L’année prochaine, il faudra récidiver avec un objectif encore plus ambitieux : dame Rumiko Takahashi. Mais les enfants auront grandi et avec l’aide du cousin et de ses pass magiques, une véritable Delta Force tokusatsesque de la quête de dédicaces peut voir le jour ! Wait and see.

Angoulême 2019 (1/2) : opération Matsumoto !

Angoulême 2019 s’est achevé avec, une fois encore, comme un désir de rattraper des années et des années de célébration de la BD franco-belge au détriment de l’américaine de la japonaise (les trois grands axes de la BD mondiale, et je ne parle pas des BD d’autres horizons, un comble pour un festival qui se veut « international »). Aussi le festival est-il devenu, depuis l’arrivée à sa tête d’une nouvelle association en 2017 après les couacs de l’année précédente (sur fond de machisme et de fausse remise de prix), mais aussi du travail de Stéphane Beaujean, le directeur artistique du festival, aussi est-il devenu donc beaucoup plus ouvert sur le monde. Depuis dix ans cela avait été déjà amorcé un peu avec un rééquilibrage géographique parmi les lauréats du Grand Prix (voir la liste sur wikipédia, on comprend tout de suite), ouvrant ainsi la manne à de possibles consécrations pour des auteurs de mangas, type de BD au début purement ignoré (non pas que l’on connaissait son existence mais que l’on choisissait de l’ignorer, non, on ignorait simplement qu’il y avait des BD du côté du Soleil Levant), puis accepté mais perçu avec condescendance, enfin reconnu et consacré.

Premier d’une liste qui devrait s’allonger régulièrement : Otomo en 2015 (en 2013, Toriyama aurait dû être le premier mangaka à l’obtenir s’il n’y avait pas eu l’incompétence crasse de l’Académie chargée de choisir l’élu. En compensation Toriyama a obtenu un prix foireux, le « prix du quarantenaire »).

On est dans cette dernière phase et franchement, ça fait du bien. A tel point qu’il est probable que l’année prochaine je ne me contenterai pas d’une seule journée de visite tant le festival, devenu terriblement chronophage par la multitude de choses à voir et à faire, paraît compliqué à faire en une seule journée. Entre les belles expositions, les « bulles » des éditeurs, les activités pour les enfants (j’ai par exemple squeezé faute de temps les animations du 60ème anniversaire d’Astérix), ou encore, ma foi, les séances de dédicaces, impossible de tout faire convenablement. Petit récapitulatif du dimanche dernier, qui donnera une idée de la richesse mangaesque (et au-delà) du festival pour ceux qui n’y ont jamais mis les pieds et qui hésiteraient à s’y rendre.

9H20 : Arrivé au parking du musée de la BD alors que le festival ouvre ses portes à 10H. Il était temps cependant car on pouvait être sûrs que vingt minutes plus tard il aurait fallu galérer pour trouver ailleurs des places. Quand je dis « on », c’est ouam, Olrik jr, Olrik the 3rd ainsi qu’un vieil ami (appelons-le Applewood) et son fils du même âge qu’Olrik the 3rd).

Le temps de se procurer les bracelets permettant d’accéder aux différents endroits du festival, on arrive à l’entrée de l’espace Manga city, la grosse nouveauté du festival. En plus de la bulle du champ de Mars (consacrées aux éditeurs franco-belge traditionnels : Casterman, Dargaud, Dupuis etc.) et de la bulle de New-York (fanzines et éditeurs indépendants), il s’agit d’une nouvelle bulle entièrement dédiée donc aux mangas. D’une taille appréciable (le chapiteau a été installé sur un terrain de foot stabilisé), elle accueille les principaux éditeurs de mangas et permet d’organiser des conférences avec les mangakas qui ont été invités. Comparé aux précédentes tentatives pour mettre en avant le manga, le résultat est plutôt encourageant. Je me souviens d’une année où le festival avait voulu recréer un espace manga évoquant Shibuya (ou Shinjuku, je ne sais plus) à l’intérieur de l’espace Franquin, cela avait été irrespirable. Là, en décentrant dans un espace plus volumineux, tout de suite on apprécie un peu plus. Avec cependant un inconvénient : celui de devoir tâter dorénavant de la navette. Autrefois on naviguait surtout dans le centre-ville, gardant le Musée de la BD et ses expositions pour la fin. Là, il a fallu faire plusieurs allers et retours entre le musée et le centre ville à cause d’événement qu’il ne fallait pas rater. Après, comme le système de navettes est fonctionnel, ce n’est pas trop le cauchemar non plus.

Intérieur de la bulle Manga City. A noter que l’auteur de Blue Giant (excellent manga sur le jazz) était présent au festival et se fendait de quelques séances dédicaces… mais pas le dimanche. C’est là que j’ai pigé que venir à Angoulême juste pour cette journée allait s’avérer frustrant pour les prochaines années.

Bref, arrivent 10H, on entre dans la bulle Manga City. Très vite Olrik the 3rd et son copain ont compris qu’il y avait plein de choses à choper gratos : auto-collants promotionnels, affichettes de manga, cool ! Tout en regardant et en me prenant une affiche gratuite représentant la couv’ du tome 4 de Saltiness (du Olrik approved ce manga) sur le stand des éditions Akata, je me dis qu’il faut filer au stand Kana pour obtenir des informations sur ce qui peut devenir ZE événement pour moi : une séance de dédicaces de Taiyô Matsumoto ! Là, un vendeur m’explique qu’il faut d’abord participer à 13H30 à un tirage au sort. En cas de ticket gagnant, il faudra acheter un livre sur le stand qui donnera une preuve d’achat et permettra d’avoir sa dédicace. Il n’y en aura pas pour tout le monde : 50 tickets gagnants sur 100, soit une chance sur deux et même un peu plus car j’espérais bien faire participer mes deux clampins. Bref, ça me semblait jouable. En accord avec Applewood, nous décidâmes de quitter le Manga City pour rejoindre le centre.

11H : passage à la Bulle de New-York (enfin, la bulle du Nouveau Monde comme on l’appelle depuis pas mal d’années). Pas forcément la bulle qui m’intéresse le plus mais je sais qu’on y trouve les éditions Cornélius et surtout Le Lézard Noir qui fait venir à chaque fois un mangaka de son catalogue. Cette année c’est Mochizuki (Dragon Head, Maiwai, Tokyo Kaido…) qui faisait le déplacement. En cas d’absence de chance pour la dédicace Matsumoto, il pouvait offrir un joli plan B. Au stand, on m’explique qu’il fera vingt dédicaces à partir de 15H. Il y a là aussi un système de tickets : il faut juste arriver à partir de 14H pour acheter un livre et obtenir un ticket qui donnera droit à une dédicace. Premiers arrivés, premiers récompensés, c’est tout. Avec ces horaires proches du tirage au sort pour Matsumoto, je sens que ça va être chaud de concilier les deux. Je remercie en tout cas la vendeuse pour l’info et j’en profite au passage pour acheter ceci :

Angoulême, c’est souvent le moyen d’acheter en avant-première des livres qui ne sont pas encore sortis. Là, impossible de résister à ce Kamimura réputé pour être particulièrement corsé. J’ai commencé à le lire. De l’érotisme à la Kamimura mâtiné de fureur meurtrière à la Marquis de Sade. Âmes sensibles s’abstenir. Bref, après cela, nous poursuivîmes notre chemin avant de sortir de la bulle. Et là, erreur ! puisque dans mon empressement à me rendre au Lézard noir j’avais oublié de visiter le stand Cornélius, situé sur un petit espace central au milieu de deux embranchements. J’avais pris celui de droit alors qu’il fallait prendre celui de gauche. Sur le coup je me dis : pas grave ! j’en serai quitte pour revenir dans l’après-midi. Mais en fait non, les événements allaient tellement s’enchaîner que je n’allais pas y remettre les pieds. Il faut dire aussi qu’Angoulême le dimanche, c’est 10H-18H (au lieu de 10H-19H pour le jeudi et le vendredi, ainsi que 10H20H pour le samedi). Agaçant car là aussi, le festival aurait permis de mettre la main avec un peu d’avance sur ce précieux objet :

Le premier tome de l’intégrale de Yoshiharu Tsuge. Une première mondiale (ou du moins hors Japon, et encore c’est à voir).

11H30 : déjeuner au Quick Burger juste à côté. C’est le bon plan. On est au sec (ah ! bon temps de merde durant cette matinée, ça s’est amélioré ensuite), on a un plat chaud, et surtout la grande salle à l’entrée pratiquement rien que pour nous. Dès midi, c’est la cohue assurée. On commande, on s’installe, on bouffe puis on repart.

12H00 : arrêt à l’espace Franquin pour la belle expo Tsutomu Nihei, l’auteur de Blame ! (entre autres). On est accueilli à l’entrée par une jolie réplique (en partie fabriquée par l’auteur) d’un personnage d’un de ses mangas :

Il y a du monde et il est difficile de s’immerger dans les nombreuses planches originales. Mais l’expo a de la gueule, avec notamment des planches impressionnantes montrant de vertigineux décors. Olrik jr, dans sa troisième année de dessin BD et qui aimerait en faire son métier, apprécie et parle de s’acheter avec son argent de poche le premier volume de Blame ! dans sa nouvelle édition Deluxe. J’encourage cette initiative (qui me permettra de lire Blame ! gratos uh uh !).

12H40 : après un coup de navette on est revenus au Manga City because tirage au sort des tickets pour Matsumoto. Dans mon esprit il devait avoir lieu à 13H mais en fait non, il s’agissait de 13H30 ! Il y a déjà une trentaine de personnes qui fait la queue. Bon, courage ! Je prends la file et j’ouvre la fermeture de mon gilet pour laisser apparaître sur mon torse puissant le magnifique t-shirt Tekkon Kinkreet acheté il y a longtemps à un Uniqlo au Japon. Avec cette martingale ultime et l’aide de mes deux pirates, impossible de rater. Je devais, j’allais réussir !

Dans la file le monsieur moustachu derrière moi m’explique qu’il est membre des Amis du musée de la BD et qu’il travaille comme bénévole au festival. Comme nous sommes tout prêts d’atteindre le chiffre de cinquante personnes dans la file, il se demande si le stand Kana ne va pas en profiter pour se débarrasser des tickets gagnants plutôt que de s’embêter à avoir une file mahousse qui allait empêcher les gens de s’approcher de leur marchandise. Je sens le vieux loup de mer qui a dû vivre d’innombrables aventures dédicatoires et qui est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut. Il va même jusqu’à évoquer cette possibilité de donner vite fait les tickets au jeune homme qui avait l’air de diriger le stand. Celui-ci sursaute un peu quand il entend ça avant de rétorquer, un brin amusé, que sachant qu’ils avaient claironné que l’horaire du tirage au sort allait avoir lieu à 13H30, ce n’était pas pour ensuite mécontenter un tas de personnes qui allaient se retrouver cocus à cause de cette magouille. Il allait donc falloir attendre encore quarante minutes. Pendant ce temps, Applewood et son fils étaient partis voir du côté du musée de la BD. Moi, mon t-shirt Matsumoto et les kids, on attendait. Parfois, l’amateur de dédicaces derrière surgissait et discutait avec le type juste devant moi. J’écoutais et parfois intervenait gentiment dans la discussion, ça faisait passer le temps. A un moment, la discussion est tombée sur le présence avec moi d’Olrik Jr et Olrik the 3rd. J’arguai que tout de même, avec eux à mes côtés c’était bien le diable si je n’avais pas la chance d’avoir au moins un ticket gagnant. Le moustachu raconta alors une séance de dédicaces où il avait fait la même chose avec son fils, ce qui lui avait permis d’avoir un ticket gagnant au nez et à la barbe d’un passionné qui aurait tué père et mère pour avoir une dédicace de je ne sais plus quel auteur. Puis il a enchaîné recta avec une autre anecdote : une fois, il s’était mis d’accord avec une autre personne dans une file d’attente : il lui avait promis que si lui et son fils tiraient chacun un ticket gagnant, il lui en remettrait un bien volontiers, pour le cas où il n’aurait pas eu la même chance…

Une bien belle anecdote ma foi. Devais-je y voir un sens caché, une demande cryptée ? Je n’y pensai pas trop. Moi tout ce que je demandais, c’était d’obtenir un précieux sésame, juste un ! Pour cela j’encourageai mes clampins en mode Hyôdô sama.

Pour ceux qui ne connaissent pas, voici Hyôdô sama.

Ils avaient intérêt à avoir la main chaude, pour sûr ! car sinon ils pouvaient être assurés de faire le chemin du retour en auto-stop. Avec tout le fric que je dépensais pour les nourrir, il fallait bien un sérieux retour sur investissement, non mais ! Nous n’étions plus qu’à cinq mètres de l’endroit où se tenait le tirage au sort.

Ici, petite musique d’ambiance :

Plus que quatre mètres… trois… deux… un…. Nous y sommes.

C’est le sympathique jeune homme à lunettes qui s’occupe du sac à tickets et qui y plonge la main pour remettre un ticket. Olrik the 3rd est le premier à tendre la main. A ce moment j’entends au loin une sorte de « Zawa zawa !». Le jeune homme lui a posé un ticket la face contre sa frêle paume. De l’autre main il le prend, le retourne et…

La suite au prochain épisode.

L’appel de Gô Tanabe

Objet lourd tenant bien en main, couverture en simili cuir, illustration de couverture inquiétante et soignée, y’a pas, les mecs chez Ki-oon ont mis le paquet pour leur nouvelle collection consacrée aux chefs-d’œuvre de Lovecraft. Et avec le choix des Montagnes Hallucinées qui couvrira les deux premiers volumes, on se dit que la collection part sur de bons rails. On se demande d’ailleurs si cette collection verra apparaître d’autres auteurs (mais il n’est pas dit qu’il existe beaucoup de mangakas qui se soient essayés à l’adaptation d’œuvres lovecraftienne) ou bien si elle sera uniquement consacrée aux mangas de Gô Tanabe. Le site de Ki-oon semble sous-entendre qu’il s’agira d’une collection qui suivra exclusivement les publications de Tanabe, et c’est une bonne chose, le mangaka ayant déjà publié quatre adaptations (et peut-être qu’un autre titre est en cours de pré-publication au Japon actuellement – à vérifier, je n’ai pu trouver d’infos sur le sujet), et ce avec beaucoup de brio.

Quoi qu’il en soit, pour les amateurs de mangas originaux sortant de l’ordinaire dans la cargaison mensuelle 90% ennuyeuse qui se déverse sur nos étals, ce premier tome des Montagnes Hallucinées est à se procurer de toute urgence, surtout si par-dessus le marché on est amateur du lugubre maître de Providence ou si l’on a goûté la récente série The Terror, adaptation de l’excellent roman de Dan Simons. J’avoue pour ma part avoir pleinement goûté le voyage polaire mis en scène par Tanabe. C’était hier, il était à peu près 23H30. Bien au chaud sous la couette, les écouteurs sur les oreilles histoire d’écouter par la même occasion la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartok, histoire de rendre le voyage graphique encore plus inquiétant et vénéneux, j’ai suivi avec délice cette histoire d’explorateurs scientifiques partis pour l’Antarctique et dont le voyage commence à partir en sucette lorsque l’un des hommes découvre une monstrueuse chaîne de montagnes noires et surtout une grotte où se trouvent de stupéfiants organismes datant d’avant même la création de la Terre. Ça commence dès lors à sentir mauvais et le lecteur aura tôt fait de préparer un jet de santé mentale (les amateurs du jeu de rôles l’Appel de Chthlu comprendront).

Gni ?

Le récit commence habilement par un flash-forward dont la sinistre violence permet au lecteur de prendre patience pendant une bonne centaine de pages. En fait, durant cette longue introduction, il ne se passe pas grand-chose, Tanabe mettant en place dans son récit les préparatifs de l’expédition et son installation à son arrivée en Antarctique. Mais avec les décisions un brin impulsives du professeur Dyer (qui possède dès le début un je ne sais quoi d’inquiétant, comme s’il était déjà sous l’emprise, malgré lui, de l’appel des Grands Anciens), le récit devient passionnant et frustrant en même temps, car à la fin du volume il faut bien se rendre à l’évidence : il faudra attendre quelques mois avant d’avoir dans les pognes un autre tome en simili cuir pour connaître la suite et la fin de l’expédition. Mais ne chouinons pas trop, l’édition française a choisi au moins de ne pas reprendre la japonaise qui se découpait en quatre volumes.

Enfin un mot sur le graphisme de Tanabe. Comment représenter le fantastique de Lovecraft, fantastique qui tout en s’appuyant sur une description très appuyée, cultive en même temps un art de la rapide évocation, les horreurs de ses histoires étant bien souvent liées à la notion d’ « indicible » ? Tanabe fait le choix d’un grand réalisme, choix parfois vertigineux lorsque se livrent sans crier gare sous nos yeux des doubles planches présentant le paysage de ces montagnes hallucinées – et hallucinantes par leur profusions graphique.

Même chose lors de la découverte des créatures ou de celle du charnier (je n’en dis pas plus). Avec à chaque fois le même effet : celui d’une certaine confusion, d’un manque de lisibilité, mais qui n’est pas pour autant un défaut. On s’attarde, on écarquille les yeux sur ces montagnes escarpées sétendant à perte de vue, sur ces créatures dont on ne sait si elles sont d’origine animale ou végétale, sur ces restes de cadavres associant le charnier à un puzzle graphique très confus. Rien ne nous est caché et pourtant, oui, on est bien face à une sensation d’indicible, ou plutôt d’irreprésentable auquel l’imagination, comme devant une page de Lovecraft, suppléera pour donner la pleine mesure de l’horreur décrite. En soit ces Montagnes hallucinées illustrées par Go Tanabe constitues une véritable expérience de lecture, et une pure réussite dans la mesure où l’univers de Lovecraft a toujours la réputation d’être quasi impossible à adapter.

Petite preview du début du tome 1 :



Tezuka is not dead !


Troisième et ultime utilisation du mythe de Faust par Tezuka. Et ultime manga tout court, puisque Néo Faust est un peu son Tintin et l’Alph-Art à lui, le manga ayant été inachevé. Tezuka était alors à l’hôpital à cause d’un cancer à l’estomac et continuait malgré tout de gérer ses projets en cours (en plus de Néo Faust, il avait aussi en cours Gringo et Luwig B.).
J’ignore si c’est le cas avec l’édition japonaise, mais les éditions FLBLB ont choisi de reproduire les sept dernières planches de « nemus », les brouillons préparatoires des mangakas, avec un decrescendo graphique de plus en plus dépouillé et forcément un peu poignant. Les premières cases présentent les textes et des croquis de décors et de personnages, puis nous n’avons plus que des planches avec les textes et enfin, sur l’ultime case, le lecteur n’a plus qu’à contempler une case vide appelant forcément à la rêverie. Fenêtre qui invite à imaginer ce que serait devenu le récit, mais aussi métaphore du sort de Tezuka parti pour un « grand nulle part ». Un petit frisson se fait alors sentir à l’idée que l’incroyable machine à raconter s’est définitivement brisée et que Tezuka ne pourra plus continuer à surprendre son lecteur.
Bref, on l’aura compris, si on est un inconditionnel de Tezuka, on se doit de posséder en bonne place dans sa bibliothèque cet ultime opus, d’autant qu’il est loin d’âtre mauvais. Si sa lecture au début s’est faite sans beaucoup d’entrain, j’avoue qu’au fur et à mesure, cette histoire fantastique, sur le thème du double et du pacte avec le diable sur fond de révoltes étudiantes à la fin des années 60, cette histoire n’est pas sans charme et c’est bien frustré que je suis tombé sur la page 383 indiquant en gros caractères : « 2ème partie ». Précisons que le livre fait 420 pages, cela vous donne une idée du travail qu’il restait à accomplir à Tezuka pour clore son récit. Le personnage faustien d’Ichinoseki a alors quarante ans, est au sommet de sa puissance, et le lecteur est évidemment intrigué à l’idée d’assister à sa chute inéluctable, aidée en cela par sa complice, « Méphisto », démone ambivalente, à la fois amoureuse de son protégé, prompte à tenter de le séduire en découvrant sa sulfureuse plastique (Néo Faust est clairement un seinen), mais aussi impitoyable quand il s’agit de l’être. Ajoutons à cela que l’histoire avait le souci d’associer le thème de Faust à celui des biotechnologies. Faust, contestations estudiantines, biotechnologies, c’est dire la richesse de ce titre qui, à défaut de le satisfaire pleinement une fois la dernière page lue, lui donnera au moins envie de se plonger dans les deux autres titres faustiens de Tezuka, Faust (1950) et Lion Books (1971), voire de relire d’autres titres ou carrément de s’essayer à l’ultime challenge : tenter de lire TOUT Tezuka, entreprise qui paraît aussi compliquée que de lire tout Alexandre Dumas tant les ramifications de l’oeuvre sont nombreuses et capables de nourrir toute une vie de lecteur. Diable d’homme que ce Tezuka ! Tout cela paraît tellement dément qu’il est difficile de ne pas imaginer qu’un pacte avec la diable a été fait à un moment. Plutôt que dans une grande case blanche, je gage que le mangaka au béret se trouve quelque part en compagnie de la démone qui lui a fait signer un sulfureux contrat. Sacré Osamu, va !

A noter que l’édition FLBLB est en grand format, de qualité et dotée d’une bonne traduction (avec par contre un lettrage bien sérieux que j’ai du mal à associer à un support tel que le manga).

Terminons avec cette jolie chose :

Il faut savoir que Tezuka avait songé à une adaptation de Néo Faust en film d’animation. Le projet n’a jamais vu le jour mais restent ces six minutes qui font saliver et rêver sur ce qu’il aurait dû être. Je manque d’infos sur cet extrait mais a priori il date de la toute fin des 90’s et le style graphique évoque bien sûr le studio de Tezuka Productions.

Le féminisme par le massage soap

Ce qui est sympa avec Go Nagai, c’est que son œuvre constitue un puit sans fond de trucs et de machins aussi sexy que débiles, faits pour nous payer une bonne tranche de rigolade accompagnée le long de la lecture d’epistaxis plus ou moins abondants.

Ayant décidé récemment de lire La Nouvelle Héloïse suite à un pari avec des amis (oui, je sais, un rien nous amuse), je me suis dit qu’il pouvait être bon d’alterner les tranches de dix pages pléiadisées et larmoyantes avec quelques chose d’un peu plus… délassant. Elle est gentille Julie, et assurément on l’imagine jolie mais enfin, s’il faut compter sur les lettres de Saint-Preux pour avoir le détail passionnée de ses charmes, ça peut attendre longtemps. Le style est là, la cartographie des sentiments langoureux aussi, reste… le fouettage des sens quoi ! Pour l’instant je reste aimable, j’adore Rousseau en général (surtout les Confessions) mais enfin, si Saint-Preux ne se lâche pas dans les prochaines lettres, s’il n’érogénéise pas sa prose en évoquant le physique de cette petite gourgandine de Julie, ça risque de me lasser cette histoire, d’autant que lire dix pages en pléiade truffées d’analyse de sentiments et restituées dans l’orthographe de l’époque demande un peu d’efforts. Bref, ayant prévu le coup (de tout façon je suis du genre à tout prévoir), j’ai intelligemment mis sous le coude une autre œuvre pour à la fois me détendre et me redonner de l’énergie après une séance de lecture rousseauisante. Mesdames et Messieurs, laissez-moi vous présenter…

Angel ou la nouvelle masseuse soap !

Si vous avez aimé Warau Salesman, Lovely angel est fait pour vous. Oui, je sais, entre la plastique d’Angel et l’horrible personnage méphistophélique de Fujiko Fujio, il n’y a absolument pas le même plaisir rétinien. En fait, c’est au niveau des histoires que l’on peut rapprocher les deux séries puisqu’elles adoptent toutes deux comme personnage principal un être mystérieux qui déboule par hasard dans la vie d’un quidam pour lui proposer une sorte pacte afin de l’aider à améliorer sa vie. Chaque histoire se conclue sur cette nouvelle vie, vie qui sera systématiquement pire qu’avant dans Warau Salesman, et meilleure après être passée par les mains expertes d’Angel.

Qui est en fait Angel ? Un ange ? La déesse de la chance ? Carrément la déesse Kannon (pour le coup l’onomastique fontionne au poil pour une version française) comme le suggère une planche dans une histoire ? On n’a pas vraiment la réponse puisque chaque personnage superpose à la bijin sa propre interprétation. Pour le lecteur, il se contente de ce nom, Angel, qui résume parfaitement sa mission, à savoir descendre parmi les hommes pour remettre certains moutons noirs dans le droit chemin. Errant dans les rues avec une grosse valise, régulièrement taquinée par un coup de vent pervers, elle cherche une de ces brebis égarées (souvent un mâle). Assez vite, la présentation se fait de manière explosive, on tourne innocemment une page et paf ! un bonnet M (au bas mot) vous saute à la figure :

Paf ! Comme dirait Gotlib : « Vé ! La pitchoune ! »

C’est qu’Angel a un métier bien particulier. Warau salesman est un vendeur ambulant, Angel est vendeuse de ses charmes dans le cadre de son admirable profession : masseuse soap à domicile ! Une fois chez le futur client, elle appuie sur un boutons de sa valise et, Ô surprise ! ladite valise se transforme en mini baignoire, première étape indispensable à tout bon massage soap qui se respecte.

On attend avec impatience de trouver un jour cet objet dans les catalogues de Noël !

Problème : les tarifs absolument prohibitifs et qui varient en fonction du pouvoir d’achat des clients. Mais le père Nagai semble prendre tellement s’émoustiller à dessiner sa créature dans des poses explosives, que les personnages craquent aussitôt et n’hésitent pas à casser leur tirelire puis le berlingot d’Angel qui, en experte habitée par la déesse Kannon, ne tardera pas à leur faire connaître le plaisir suprême, plaisir à chaque fois exprimée en une planche remplie de bulles libidineuses…

Pas exactement des Bulles de Japon mais on apprécie aussi.

… ou alors donnant un avant goût de ce que serait une copulation dans l’espace.

Malaxés, caressés, fouragés, empoignés, sucés, les personnages de chaque histoire finissent l’aventure totalement transfigurés, prêts à se lancer dans l’aventure d’une renaissance spirituelle et professionnelle. Ainsi ce joueur de mah-jong :

?!

… qui met en danger sa vie à trop vouloir jouer avec la pègre locale. Apès sa rencontre avec Angel, il se rangera et contentera de jouer dorénavant au mah-jong avec sa grand-mère à la maison de retraite.

De même pour ce vigoureux rikishi :

?!!!

Messieurs de ces dames, il est payé par ses fans pour leur donner du bon temps. Mais voilà, exténué par ses performances sexuelles à répétition, il en oublie le dohyo et finit par devenir un sumo sans avenir. Après le massage d’Angel, il se découvre une autre force physique et spirtuelle qui lui permettra de devenir yokozuna.

Dosukoi !

Après, tous les personnages ne finissent pas toujours bien leur histoire. Car le manga est aussi peuplé par une galerie de salopards pour lesquels on se dit qu’ils ne méritent pas vraiment les services de l’ange shampouineuse à gros seins. Témoin ce photographe professionnel qui transforme ses séances de shooting en séances de viol, ou encore ce vil gynécologue qui profite de ses consultations pour faire des vidéos à la portée documentaire discutable :

Eh bien, avec ce genre d’individu, ce n’est plus #balancetonporc mais #châtietonpourceau puisqu’Angel se trouve alors secondée dans sa mission par une sorte de soeur jumelle, Black la démone. Et là, point d’extase pour les moutons noirs, juste la pire des humiliations. Pour le photographe violeur, il connaîtra la joie de voir des photos de lui publiées dans des magazines :

BWAHAHA !

Tandis que d’autres apprendront ce que ça fait que de se prendre un vit dans l’anus alors qu’on n’a rien demandé :

MOUAHAHA !

Bonne fée aidant les hommes méritants mais un peu clèdes, consolatrice des femmes bafouées par de vils pourceaux, pourfendeuse des Weinstein en herbe, Angel est une héroïne qui saura plaire à la fois à Monsieur et à Madame, pour le cas où cette dernière serait une féministe enragée. A défaut de valise-soap, l’achat de cet excellent manga en cinq tomes est vivement recommandé pour les fêtes !

Sur ce, je vous laisse, je m’en retourne à ma Nouvelle Héloïse (passe à l’attaque Saint-Preux, merde quoi !).

La photographe (Kenichi Kiriri)

Sur la quatrième de couverture : « Un titre d’exception à mi-chemin entre L’homme qui marche et Le Gourmet Solitaire ». Signé Jiro Taniguchi.

Plutôt alléchant, et quand en plus le sujet est une lycéenne, Ayumi, pratiquant la photographie au gré de ses escapades dans Tokyo, j’avoue qu’il devient difficile de résister. La lecture du premier volume achevée, qu’en penser ?

D’abord que l’on voit bien ce qui a pu séduire Taniguchi. Les histoires, composées de cinq planches, relatent l’arrivée d’Ayumi dans un quartier de Tokyo, l’appareil argentique à la main, pour déambuler, découvrir des endroits, tomber sur des gens à la silhouette intéressante, et parfois discuter avec eux. Une plongée dans un quotidien qui perd son aspect banal pour peu que l’on sache l’observer (c’était le cas de l’Homme qui marche).

Après, on peut se demander si le format des cinq planches n’est pas limité pour faire sentir cette déambulation contemplative, d’autant que la narration est accompagné d’une multitude de récitatifs émanant d’Ayumi qui raconte les détails de sa promenade. Cela donne parfois un côté guide touristique qui n’est pas forcément déplaisant car l’auteur s’est efforcé de faire découvrir des endroits sortant des sentiers battus, mais qui donne d’une autre côté une certaine densité qui éloigne du plaisir que l’on pouvait avoir à la « lecture » des planches quasi muettes de l’Homme qui marche.

Et puis, il y a cette thématique de la photographie qui apparaît très vite comme un prétexte pour raconter des promenades et faire découvrir des lieux. Là aussi, ce n’est pas gênant en soit et pourtant, il me semble que Kiriri est passé à côté d’un aspect qui aurait pu être intéressant, surtout avec un personnage disposant d’un appareil argentique. Car se promener avec ou sans appareil photo n’est pas la même chose, pas la même excitation, le même plaisir. Observer l’entourage avec le souci constant de capter une bonne image, passer à son exécution avec l’inquiétude d’avoir fait les bons réglages (inquiétude amplifiée par le choix de l’argentique), ressentir l’excitation  d’avoir saisi quelque chose sur le vif, autant de facettes de l’activité de photographe que le mangaka n’exploite pas vraiment ici et qui aurait pu enrichir ses histoires. Mais une fois encore, le cadre des cinq planches rendait peut-être difficile d’intégrer tous ces aspects.

Chaque histoire se termine par une double page touristique résumant les « hot spots » évoqués. Pourquoi pas ?

La Photographe est un manga qui appartient à ce genre magnifié par Taniguchi que l’on pourrait appeler « le manga déambulatoire » (le « asobi manga » ?) dont il serait intéressant par ailleurs de savoir si d’autres mangakas s’y sont essayés avant Taniguchi. Il s’agit avant tout de se concentrer sur ces petits riens de la vie quotidienne qui font le bonheur des personnages peuplant ce type de manga. Si on aime ce style d’histoire, on appréciera la Photographe, et tant pis si l’évocation de la pratique de la photographie reste un peu décevante dans son approche.

Sinon, envie de voir d’autres douces créatures tenant entre leurs doigts graciles un bel appareil ? Je rappelle l’existence de ceci.

 

 

Les derniers traits de Taniguchi

Et le voici donc le tant attendu ultime album de Jiro Taniguchi, décédé le 11 février dernier.

Si ses dernières œuvres ne m’avaient pas vraiment fait vibrer, j’attendais malgré tout avec curiosité cette Forêt Millénaire, fruit d’une collaboration avec les éditions Rue de Sèvres et destiné à couvrir cinq tomes. On le sait, Taniguchi n’aura eu le temps que de terminer le premier tome et de faire le découpage préparatoire du second. Du coup la lecture de cette histoire courte (une quarantaine de planches) a de quoi frustrer et de donner impression que la gigantesque carrière de Taniguchi s’achève sur une œuvre sans commune mesure avec ses précédents chefs-d’œuvre.

Et pourtant, il y a bien un certain charme à lire cette histoire destinée avant tout à un public d’enfants, en couleurs et disposée dans un format à l’italienne. Impossible de ne pas penser à Miyazaki devant cette histoire d’un garçon de dix ans, Wataru Yamanobe, devant vivre auprès de ses grands-parents à Kaminobe, « un village au fond de la montagne », en attendant que sa mère hospitalisée aille mieux. Assez vite, il ressent de la fascination pour une forêt mystérieuse et s’aperçoit qu’il est capable de ressentir certaines choses en contact avec elle. On songe ici à Totoro et à son duo de gamines découvrant la vie à la campagne avec leur père pendant que leur mère malade guérit à l’hôpital. Mais on songe aussi à Mononoke et à sa forêt peuplée de créatures issues d’un monde mythologique, et à d’autres films encore mettant en scène des personnages d’enfants pas comme les autres, disposant de pouvoirs leur permettant d’entrer en contact avec les forces vive de la nature. Les autres tomes auraient dû évoquer la rencontre d’une petite fille ayant les mêmes pouvoirs que Wataru et le début d’une collaboration entre les deux enfants pour empêcher un projet minier mettant en péril l’équilibre de la forêt (là aussi, on songe à Mononoke).

 

Taniguchi avait prévu à l’origine de faire cinq tomes avant que la maladie ne le frappe et lui fasse plutôt envisager un développement sur trois volumes. Le pauvre sera finalement très loin du compte mais peu importe, le maître a terminé sa carrière avec son désir de travailler selon les critères de la BD franco-belge. Connaisseur et admirateur de notre BD, Taniguchi avait de plus en plus pris ses distances avec le système de publication des mangas, ayant assez donné aux délais hystériques et à la production éreintante que les mangakas se doivent de tenir. Aspirant à plus de sérénité, à un travail lui donnant une entière liberté, il s’est donc livré à une histoire hybride, tenant à la fois du manga, de la BD et du livre pour enfant, histoire certes inachevée mais qui par son inachèvement donne l’envie qu’elle soit perpétrée. Pas forcément dans le sens qu’elle soit achevée par d’autres dessinateurs, mais dans celui que Taniguchi, en inventeur de nouvelles formes, soit suivi par d’autres mangakas fatigués par l’éternel format du tankobon. C’est en tout cas le souhait de Motoyuki Oda, l’éditeur chez Shogakukan chargé de la publication au Japon.

En attendant de voir peut-être cela, il reste les milliers de planches de Taniguchi à lire ou à relire, masse considérable qui trouve finalement une conclusion assez belle avec ce livre et ses toutes dernières planches formant un hymne à la nature éternelle. Formant un somptueux écrin chargé du vert de la forêt, on se dit que cela ne pouvait qu’être le meilleur tombeau pour accueillir Taniguchi sensei.

L’Apocalypse selon Saint Go

On a beau connaître Devilman – savoir un peu de quoi ça parle, quel genre de scène on va devoir se coltiner – entreprendre de le lire in extenso pour la première fois constitue en soi forcément une expérience marquante. Très loin des robots géants de Mazinger et Grendizer, ou des polissonneries de Harenchi Gakuen, ce manga coup de poing de Go Nagai plonge le lecteur dans les abysses de l’Apocalypse façon Blitzkrieg de démons. Il y a bien parfois des tentatives de détendre l’atmosphère, notamment avec le personnage de Miki, mais dans la l’ensemble, force est de constater que cela est noyé dans un climat de ténèbres et de violence qui peut surprendre le lecteur s’il n’est pas prévenu (au début je pensais mettre le manga entre les mains d’Olrik Jr, j’ai vite changé d’avis après quelques planches). Car ouais, pour lire Devilman, il faut tout de même avoir son brevet de lecteur enhardi et devenu momentanément féroce (comme dirait Lautréamont).

Grrr… Bijin droit devant !!

L’histoire ? Akira Fudo, lycéen faible et pas bien courageux, se voit un jour entraîne par son ami Ryo dans une étrange soirée aux allures d’orgie. Il s’agit en fait d’un sabbat visant à transformer les participants en démons. C’est que le temps presse. Ryo sait que le monde est sur le point d’être envahi par une armée de démons. Le moyen de contrecarrer cela serait de faire qu’Akira – dont il sent qu’il a, malgré les apparences, le potentiel pour affronter les démons – devienne lui-même un démon. Enfin, pas totalement, il s’agirait d’en avoir le corps mais de garder intact son esprit. Or, comme Akira a justement un cœur pur, Ryo pense qu’il serait capable de limiter sa métamorphose au physique. C’est bien vu : lors de ce sabbat, un puissant démon, Amon, prend possession du corps d’Akira mais ne va pas jusqu’à contrôler son esprit. Le timide Akira est dorénavant le terrible Devilman, et ça va méchamment chier pour les démons !

Scène de la vie ordinaire d’Akira/Devilman.

Lire Devilman, c’est l’assurance de s’en prendre plein les mirettes. « No limit » semble avoir été la devise de Go Nagai lors de la création du manga, et on le croit volontiers lorsqu’il affirme que créer la moindre planche de Devilman ait pu être un combat qui le laissait lessivé à chaque fois. Il se dégage en effet de la lecture une énergie sombre aussi dérangeante que fascinante. On n’ira pas jusqu’à dire que Devilman constitue ses 120 Journées de Sodome (possible que Violence Jack soit encore plus éprouvant), mais il faut bien reconnaître que de par l’accumulation de scènes graphiques, s’en dégage au fil du volume une impression de complaisance, voire de délectation dans l’art de représenter la souffrance, aussi bien physique que psychologique (planches assez marquantes avec le personnage de l’écolier persécutée par sa mère devenue démone).

Le mal est tapi partout et cela a toujours été. Quelques chapitres hallucinants nous montre Akira et Ryo remonter dans le temps pour rencontrer des figures historiques (Hitler, le général Custer…), figures dont les méfaits trouvent évidemment leur origine dans une possession maléfique. Mal passé, Mal présent, il ne reste plus qu’à espérer que le Mal ne constitue pas l’avenir de l’humanité. Mais lorsqu’on l’on voit de quelle manière Nagai dépeint dans les premiers volumes l’humanité, humanité qui n’a pas forcément besoin d’être possédée pour être abjecte et schizoïde, rien n’est moins sûr.

Enfin, outre sa violence et son imagination graphique, Devilman est à lire de par son statut d’œuvre matricielle. L’amitié (qui va se transformer en haine) entre Akira et Ryo annonce clairement Berserk et son duo de personnages antagonistes, Guts et Griffith. Quant au style parfois très barré des démons, impossible là aussi de ne pas penser à certaines créatures du manga de Miura. Et Hideaki Anno avouera lui-même avior été profondément marqué par ce manga culte, ce en quoi on le croira sans problème tant Evangelion et sa fin apocalyptique peuvent en effet évoquer Devilman.

Bref un must have que les éditions Black Box ont eu la bonne idée de traduire il y a quelques années dans une très correcte édition.

 

Ma fille dans la peau

Izumi Wakakuza est une ancienne actrice bien loin de ses glorieux succès. Vieillissante et le visage ravagé par une maladie de peau, elle trouve au moins un peu de réconfort dans l’éducation de Sakura, sa ravissante petite fille qu’elle a eue un jour lors d’une passade avec  un inconnu. Mère poule quasi obsessionnelle, elle veille à ce que l’enfant n’ait pas le moindre problème de santé. Sakura s’écorche-t-elle le visage en tombant lors d’un jeu avec des camarades de classe que la mère devient aussitôt enragée ! En fait, la raison de ce comportement est à chercher ailleurs que dans le simple amour maternel. Son but est d’élever Sakura jusqu’à ce que sa boite crânienne soit suffisamment grande pour y virer le cerveau de sa fille, y transplanter le sien, et connaitre une nouvelle vie avec une beauté juvénile prometteuse pour plus tard. Au moment où commence Baptism, la taille du crâne de Sakura est presque à point…

Cela faisait bien longtemps que je m’étais pas plongé dans un manga de Kazuo Umezu. Le dernier – et d’ailleurs le seul – était l’Ecole emportée qui m’avait moi aussi emporté malgré un graphisme que je découvrais et avais trouvé déroutant. Ces visages shojo, ces bouches ouvertes marquées par des des trous noirs au bas du visage, ce dynamisme fait de raideur, tout cela ne m’avait guère incliné à penser qu’Umezu était un maître de dessin. Et pourtant, associé à ses atmosphères horrifiques, le trait faisait merveille et c’est de nouveau le cas avec ce Baptism. Car il faut parfois avoir le cœur bien accroché pour suivre d’abord le quotidien de Sakura puis celui de sa mère après l’opération chirurgicale (ce n’est pas vraiment un spoil, le changement de corps arrive dès le premier tome). Plongé dans ma lecture, je me suis rappelé de celle d’Anatomie de l’horreur, de Stephen King, notamment ce passage où il théorise les différences entre terreur (effrayer le lecteur en faisant appel à son imagination), horreur (l’effrayer en révélant ce qui cause la terreur) et révulsion (choquer en montrant des actes horribles). Umezu jongle parfaitement avec ces trois notions.

On sera clairement révulsé devant la scène de l’ouverture de crâne, de l’exctraction de son cerveau et du geste ahurissant que le chirurgien fou avec celui-ci.

On sera horrifié lors de cette scène durant laquelle Izumi – dont on sait alors quel est le sombre dessein – course dans la rue sa fille terrorisée et appelant à l’aide alors que les passants haussent les épaules, la prenant pour une folle. A cet instant, la lourde silhouette grotesque de sa mère, poursuivant sa fille comme une dératée, à tout de celle d’Annie Wilkes dans Misery.

Enfin on sera terrifié dans ces scènes de huis clos, que ce soit dans la première demeure d’Izumi ou dans sa deuxième (lorsqu’elle habitera le corps de sa fille, elle aura pour projet d’habiter auprès d’un homme qu’elle révère…). Maître dans l’art de composer des planches et des cases montrant la solitude et la fragilité d’un personnage perdu dans un lieu dont on sait que la menace peut jaillir de n’importe où et à chaque instant, Umezu excelle à faire cogiter le lecteur ce sur quoi il peut subitement tomber dans ce geste anodin qui consiste à tourner une page, mais qui s’avère en fait aussi dangereux que celui d’ouvrir une porte, pour les personnages.

Bref, on l’aura compris, avec Baptism on a son comptant d’émotions fortes, le coup de génie étant d’associer la menace à un personnage d’adorable fillette. On songe ici à la Mauvaise Graine (1956) de Mervyn LeRoy, à la différence qu’ici le lecteur sait de quoi il en retourne alors que le film joue durant tout un moment sur le doute. Dans Baptism, le lecteur a plusieurs longueurs d’avance sur les proche d’Izumi/Sakura car il sait ce qu’il y a dans la caboche de la fillette. Et ce n’est pas un inconvénient car cela ne sera pas sans distiller dans l’esprit du lecteur, après la révulsion, l’horreur et la terreur, une quatrime émotion : la rage impuissante, celle de voir que les proches tombent tous  dans le panneau et ne prennent même pas au sérieux les éventuels esprits sagaces qui auraient compris que quelque chose chez cette petite fille pas comme les autres ou du moins plus comme auparavant.

En quatre tomes très resserrés, Baptism livre une histoire horrifique qu’il faut absolument se procurer si l’on est amateur du genre.  A placer dans sa mangathèque juste à côté d’une œuvre de Junji Ito, par exemple Tomie, grande sœur de Sakura dont la beauté cache aussi des abîmes de noirceur.

Mort d’un humble universel

La nouvelle est tombée le week-end dernier : Jirô Taniguchi est mort des suites d’une longue maladie. Ce genre de nouvelle, lorsqu’elle concerne un artiste âgé, laisse souvent un sentiment mêlé de tristesse et de fatalisme. On se dit que 69 ans est finalement un âge pour mourir qui n’a rien d’injuste, qu’après tout l’artiste a pu atteindre un âge qui lui a permis de bâtir une œuvre solide et qui lui survivra.

Mais on se replongeant dans les œuvres de Taniguchi, on se rend bien compte que cette façon de voir les choses n’est pas vraiment satisfaisante. On en préfèrera une autre, celle qui considère qu’un artiste, tant qu’il n’a pas décidé de taire sa voix, possède en lui une potentialité d’œuvres à venir pouvant encore apporter quelque chose à son œuvre, et surtout nous toucher.

La mauvaise nouvelle apprise juste après avoir vu l’épisode de Naoki Urasawa no manben consacré au vétéran Takao Saito (80 ans), je dois dire que c’est finalement cette impression que la faucheuse a un peu déconné en emportant Taniguchi qui prévaut. C’est que depuis pas mal d’années maintenant, on s’était habitué à voir régulièrement ses œuvres (anciennes ou nouvelles) garnir les rayons des libraires. Pas toujours pour le meilleur, il faut bien l’avouer, notamment avec des collaborations parfois hasardeuses (celle avec Moebius pour pondre Icare). Mais régulièrement sortaient des titres sortant du lot. On peut trouver que ses dernières œuvres n’étaient pas du niveau de celles l’ayant propulsé comme étant un maître du manga (Quartier lointain, l’Homme qui marche, le Sommet des Dieux…), mais restait tout de même une patte Taniguchi et une approche contemplative toute en captation d’événements infra-ordinaires (pour reprendre Pérec) qui permettaient encore d’y trouver son compte et d’espérer un nouveau chef-d’œuvre.

On pouvait se gausser à un moment de la parution effrénée de ses œuvres, manne éditoriale qui donnait l’impression de surfer sur l’engouement d’un public pas forcément connaisseur. Reste que cette manne, on avait la chance de l’avoir et que maintenant, en dehors de quelques titres pas encore publiées, elle est destinée à se tarir dans un avenir proche. Et c’est peut-être ça le plus triste : savoir qu’on aura plus la bonne surprise de tomber dans le rayon des nouveautés sur ce graphisme reconnaissable au premier coup d’œil, graphisme capable de surprendre de par sa capacité à aborder tous les genres dans des histoires ou le bruit et la fureur pouvait côtoyer de grands moments de sérénité, de symbiose avec l’instant présent que Rousseau n’aurait pas reniés.

Mais encore une fois, consolons-nous puisque nous avons la chance d’être dans un pays qui ne s’est pas économisé dans la publication de ses œuvres. Et comme je viens de m’apercevoir que je n’ai pas encore lu certains de ses titres considérés comme parmi ses meilleurs (par exemple Au temps de Botchan). En attendant de les dévorer, j’ai décidé de me replonger dans son Everest : le Sommet des Dieux, adaptation du roman de Baku Yumemakura, sur la rivalité entre deux alpinistes. Plus de 1500 pages procurant une expérience quasi sensorielle aux côtés du personnage principal, Habu Jôji, homme ombrageux ne vivant que pour escalader des montagnes, de préférence hautes et dangereuses. En le relisant, ces rudes hommes et ces espaces glacés m’ont fait penser à Ken Takakura dans Antarctica et du coup je suis tout de suite allé choper la B.O. de Vangelis afin d’accentuer l’immersion dans ces planches donnant à ressentir la rudesse des ascensions et la matérialité de ces magnifiques et terrifiantes cimes, chemins ardus pour accéder à un « là-haut », seule satisfaction pour des hommes peu faits pour le « là-bas » de leurs semblables. On arpente avec eux, on escalade avec eux, on bivouaque à -30°C avec eux mais on ne mourra pas avec eux, préférant respirer à pleins poumons cette vivifiante leçon de vie qui nous laissera groggys mais heureux, même après plusieurs relectures. Il est des expériences précieuses qui accompagnent les différentes étapes de la vie d’un lecteur en lui procurant à chaque fois un plaisir intact. On peut affirmer sans trop se tromper que les mangas de Taniguchi appartenaient à cette catégorie. L’homme était modeste, mais c’est bien un géant qui vient de disparaître. Profitons bien de la montagne de mangas qu’il nous laisse et escaladons-la sans compter : c’est l’unique montagne au monde où il est bon de se perdre.

 

Urasawa en mission chez Ikegami

Histoire de prolonger le précédent article sur Yuko de Ryoichi Ikegami, évoquons aujourd’hui l’excellente émission de la NHK, Urasawa Naoki no manben. Le principe est simple : durant quarante-cinq minutes, le spectateur suit l’auteur de 20 Century Boys qui va rencontrer l’un de ses confrères et discuter avec lui de son art. En septembre dernier commençait la troisième saison, saison qui devait proposer un épisode consacré à Ikegami.

Âgé de 72 ans, l’homme, qui apparemment refuse de montrer son visage (chose qui semble avoir toujours été, je ne me souviens pas d’avoir vu sa frime sur les rabats des jaquettes de ses mangas), est toujours en pleine possession de ses moyens. Je ne sais pas si l’on peut dire qu’il est au sommet de son art mais une chose est sûre à voir les dessins qu’il réalise sous l’œil de la caméra, c’est que le bonhomme a encore une sacrée technique. Le morceau de bravoure de l’épisode est ce dessin pleine page qu’il réalise et qui lui prendra trois heures  (crayonné + encrage). La maîtrise des proportions, la méticulosité du détail réaliste, l’art de la hachure, tout cela contribue à donner cette force à ses personnages lorsqu’ils apparaissent subitement en pleine page pour souligner un temps fort de l’histoire.

Ikegami travaille actuellement sur BEGIN, manga scénarisé par Buronson et dont la trame axée sur deux personnages essayant d’atteindre le sommet dans leur milieu respectif rappelle très fortement Sanctuary. Même s’il y a un air de déjà-lu, on ne peut que regretter que ce titre n’apparaisse pas dans des bacs français où le tout-venant médiocre a de plus en plus tendance à pulluler. D’ailleurs, heureusement que Tonkam a publié Yuko car depuis la liquidation judiciaire des éditions Kabuto, des titres comme Crying Freeman et Sanctuary ont subitement disparu de la circulation, faisant d’Ikegami un mangaka quasi confidentiel, chose surprenante compte tenu de son importance et d’une oeuvre plutôt prolifique.

Les belles d’Ikegami

Y’a pas à dire, Tonkam et Delcourt ont bien fait les choses pour publier ce Yuko, anthologie concoctée par Ryoichi Ikegami lui-même de ses meilleures adaptations de nouvelles. L’objet est volumineux, dispose d’un papier épais et sera du meilleur effet dans le coin de votre bibliothèque où vous rangez vos œuvres érotiques. Car on s’en doute, même si l’on n’a pas forcément lu Yuko – mais que l’on connaît un peu l’œuvre d’Ikegami, surtout lorsqu’il travaille sur les scénarios burnés de son comparse Buronson – il sera forcément question dans ce livre de femmes magnifiques plus ou moins engluées dans des perversions en tous genres. Si l’on excepte Mai, the Psychic Girl, il y a en effet toujours eu la propension chez Ikegami à dessiner des histoires peuplées de mâles guerriers, qu’ils soient flics, yakuzas ou samouraïs, mais aussi de femmes splendides dessinées avec un plaisir évident et destinées à dévoiler au détour d’une planche leur nudité. Leurs visages donnent toujours l’impression d’être interchangeables, seule les coiffures permettant de les différencier, comme si ce qui intéressait Ikegami n’était pas les femmes dans leur variété mais un concept de la femme. Elle apparaîtra souvent comme pure, limite virginale, mais en même temps susceptible de s’adonner sans aucune afféterie aux plaisirs du sexe.

Après, n’imaginez pas non plus que Yuko fasse dans le hentai.  Ikegami est avant tout maître dans l’art de suggérer une sorte de « potentiel érotique » dans chacun de ses personnages féminins et n’a nul besoin de les montrer en long, en large ou en travers dans moult positions pour exprimer cet érotisme. Elles apparaissent à un moment ou à un autre dans leur plus simple appareil mais sans que cela soit le prélude à une orgie graphique libidineuse. Si orgie graphique il y a, elle est avant tout dans la sublimation d’un visage ou d’un corps, sublimation qui cristallise à la fois un point de l’intrigue et surtout le pouvoir du personnage féminin ikegamien sur les hommes.

Deux récits illustrent parfaitement ce point en se situant à deux extrêmes. D’un côté, le Serpent, habile transposition du mythe de la Gorgone dans le Japon contemporain. L’héroïne, une prof de lycée, possède un serpent tatoué à l’intérieur de la cuisse droite. Qui le voit tombe immédiatement amoureux de la femme et ne pense plus qu’à elle, ne devenant plus qu’une pierre incapable de reprendre son train de vie ordinaire. Parfaite illustration de ce que peut ressentir le lecteur à la lecture des récits d’Ikegami lorsqu’il tombe en arrêt sur un corps féminin magnifié par le talent de l’auteur pour le figer dans une sensualité graphique dont on se dit, après avoir vu la magnifique expo Kamimura à Angoulême, qu’elle aussi mériterait qu’on lui fasse honneur lors d’une prochaine édition du festival.

D’un autre côté, un Amour de Tojuro nous raconte l’histoire d’un comédien qui, pour parfaire son art et jouer à la perfection le rôle de l’amant d’une femme marié, va jouer la comédie auprès d’une femme en lui confiant son amour. Comprenant qu’elle a été dupée, cette dernière se suicidera mais qu’importe ! pour Tojuro une femme est juste ce qui lui permet de parfaire son art.

D’un côté la femme qui annihile l’homme par sa beauté ensorceleuse, de l’autre la femme utilisée par l’homme pour lui permettre de se sublimer. Deux cas opposés mais finalement une constante : la femme comme épicentre émotionnel de tous ces personnages. Quand elle est là, sa présence pose problème à l’homme. Mais enlevez-la lui, il n’est plus rien. Dans ces conditions, Thanatos n’est jamais très loin…

Thanatos et ses avatars : l’enfer, la folie et autres joyeusetés comme l’atteste cette hallucinante double planche. Je vous laisse le soin de découvrir le pourquoi du comment.

Yuko propose douze récits publiés entre 1991 et 1999. Le recueil se termine par une interviewe dans laquelle est évoqué une deuxième recueil présentant des récits publiés entre 1966 et 1972. On espère que l’info n’est pas là juste pour faire rager le lecteur français et qu’une édition française de la même qualité que ce Yuko se fera bientôt.